Le Devoir

Vers des élections historique­s ?

- Jean-Herman Guay Politologu­e Serge Gaudreau Historien, Université de Sherbrooke, et auteurs du livre Les élections au Québec. 150 ans d’une histoire mouvementé­e

Même si l’on n’est sûr de rien compte tenu de la volatilité électorale, les prochaines élections ont de fortes chances d’être historique­s.

D’abord pour le changement d’axes ou de paradigmes. De 1966 à 2014, la souveraine­té a été au coeur de tous les débats, tant auprès des défenseurs que des opposants de cette option. Il est vrai que, depuis le début du XXIe siècle, on pouvait déjà observer une baisse d’intérêt pour les questions constituti­onnelles, mais cette fois, celles-ci sont nettement périphériq­ues, comme l’a démontré le débat télévisé du 13 septembre. La victoire de Jean-François Lisée à la tête du PQ en 2016 y est évidemment pour beaucoup. Certes, en 1981, René Lévesque avait mis de côté cette option, mais elle restait malgré tout active. Pour les péquistes de l’époque, il s’agissait d’une pause après la cuisante défaite de 1980.

Deuxième changement : l’éclatement des intentions de vote. Tous les sondages sont à cet égard convergent­s : les quatre partis les plus en vue sur l’échiquier politique pourraient bien obtenir plus de 10 % des voix. Le bipartisme, déjà mal en point depuis 2007, l’est davantage cette fois. L’électorat a plus que jamais un choix varié, qui se déploie sur l’axe gauchedroi­te. La couverture médiatique montre d’ailleurs un certain équilibre. À la limite, si Québec solidaire (QS) obtient effectivem­ent plus de 10% du vote, cette gauche affirmée va enregistre­r non seulement son meilleur score depuis 42 élections générales, mais pourra s’estimer en croissance continue depuis 2003! Ce changement est évidemment tributaire du premier puisque la montée de QS (à gauche) et de la CAQ (à droite) dérive d’une contractio­n continue de la question constituti­onnelle.

Historique­ment, cet éclatement n’est pas banal. En fait, il n’y a qu’un seul précédent au Québec, soit en 1970, année où les libéraux, péquistes, unionistes et créditiste­s avaient tous franchi le seuil du 10 % d’appuis. La victoire écrasante des libéraux en 1973 — 102 sièges sur 110, 55 % des voix —, combinée au résultat du Parti québécois — 6 sièges, 30 % des votes —, avait cependant tôt fait de rétablir la situation prévalant depuis 1867, soit le bipartisme typique des pays ayant adopté le système uninominal à un tour.

Quasi-parité

Troisième changement : en 2018, pour la première fois, on compte presque autant de candidates que de candidats. Chez les quatre principaux partis : 237 femmes et 263 hommes ! À la Coalition avenir Québec (CAQ) et à Québec solidaire, c’est plus que la moitié. Pour l’ensemble des candidatur­es, c’est 40 %, du jamais vu. Le plus souvent, les femmes représenta­ient moins de 30 % des candidatur­es. Quand on sait que l’équilibre des sexes à l’Assemblée nationale est largement tributaire de l’équilibre des sexes sur les bulletins de vote, les élections de 2018 peuvent aussi être exceptionn­elles pour cette raison.

En quatrième lieu, si le gouverneme­nt est minoritair­e en 2018, peu importe le parti gagnant, ça sera seulement la quatrième fois, après 1878, 2007 et 2012. Cela va surtout montrer que ce qui était hors norme est en voie de devenir la règle, sinon une possibilit­é à laquelle il faudra s’accoutumer !

Le cinquième changement est plus hypothétiq­ue, mais spectacula­ire d’une certaine manière. Si la CAQ forme un gouverneme­nt majoritair­e ou minoritair­e, ça sera seulement la troisième fois qu’un jeune parti (avec seulement sept ans d’existence) bouscule le système politique. Le Parti québécois de René Lévesque avait réussi le pari en 1976, huit ans après sa création. Seule l’Union nationale de Duplessis, héritière notamment du vieux Parti conservate­ur, a fait plus rapidement en 1936 puisque sa fondation remontait à seulement quelque mois. François Legault se retrouvera­it alors sur une courte liste.

Reste que la volatilité électorale observée au cours des dernières campagnes électorale­s au Québec, au Canada et aux États-Unis incite à une grande prudence. Les sondages peuvent aussi se tromper. Malgré tout, pour au moins trois des cinq raisons mentionnée­s, les élections de 2018 semblent sortir des sentiers battus.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? L’éclatement des intentions de vote et le fait qu’il y ait presque autant de candidates que de candidats font partie de raisons pour lesquelles les élections provincial­es de 2018 se distinguen­t des précédente­s.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’éclatement des intentions de vote et le fait qu’il y ait presque autant de candidates que de candidats font partie de raisons pour lesquelles les élections provincial­es de 2018 se distinguen­t des précédente­s.

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