Maternelle 4 ans ou CPE ?
Le réseau des Centres de la petite enfance est sur un pied d’alerte face à la promesse de la Coalition avenir Québec
Ils ont 4 ans et vivent en milieu défavorisé. Les uns sont dans un CPE, les autres dans une classe de maternelle. Ils chantent les mêmes comptines, jouent aux mêmes jeux, développent les mêmes compétences avec un programme éducatif très similaire. Et ils se retrouvent aujourd’hui au centre d’un débat sur la qualité et la pertinence des services aux tout-petits.
Dans la cour du CPE L’Oasis des enfants, dans Montréal-Nord, les enfants courent, se chamaillent, tombent sur le gazon synthétique et se relèvent en repartant de plus belle. « Enlève tes doigts de ton nez ! » lance patiemment Karla, l’éducatrice. «Parle avec des mots », dit-elle à un autre.
Entre deux consignes, elle énumère ce qui constitue, selon elle, les avantages du CPE sur la maternelle 4 ans. Elle parle de ratio, d’horaires, de qualité des interactions, de lien de confiance avec le parent de l’enfant.
Tous ces « avantages » se retrouvent dans un document produit par le CPE et distribué chaque automne aux parents des groupes de 3 ans qui se demandent s’ils devraient inscrire leur enfant à la maternelle 4 ans de l’école voisine.
Dans son bureau, la directrice du CPE, Annie Rioux, s’inquiète. Si la Coalition avenir Québec prend le pouvoir et met en oeuvre sa promesse d’offrir la maternelle 4 ans à tous les enfants plutôt qu’uniquement en milieu défavorisé, elle craint de perdre davantage de petits.
Et elle n’est pas la seule. C’est tout le réseau des CPE qui est sur un pied d’alerte, confirme Geneviève Bélisle, directrice générale de l’Association québécoise des centres de la petite enfance.
La CAQ a beau répéter que ces places seraient remplacées par des enfants qui sont présentement sur une liste d’attente, on répond que c’est un calcul qui a du sens « dans une logique comptable », mais qui ne peut être mis en pratique dans une logique territoriale.
Selon elle, la maternelle 4 ans pour tous viendrait «fragiliser l’offre» et entraînerait « des pertes d’emploi de femmes qualifiées dans le réseau», particulièrement en région. « On déshabille Paul pour habiller Jacques», soupire-t-elle.
Maternelle 4 ans
À des kilomètres de là, à l’école SaintNoël Chabanel, dans Montréal-Nord, les enfants sont assis en demi-cercle devant « Madame Soheir » pour la causerie du matin. La scène ressemble à s’y méprendre à celle de la veille, dans le groupe de Karla au CPE L’Oasis des enfants. Le local est plus grand, plus éclairé aussi.
Mais les jeux, bien rangés dans les bacs, sont les mêmes : tiges de construction, formes géométriques, casse-tête, animaux en plastique, voiturettes et poupées, châteaux et jeux d’adresse. Il y a, dans les deux cas, un coin bibliothèque, un coin bricolage et une cuisinette en plastique.
Les comptines pour apprendre les lettres de l’alphabet, les jours de la semaine, les parties du corps sont les mêmes.
Dans les deux cas, aussi, on apprend par le jeu, en petits blocs d’une quinzaine de minutes. « Même dans les périodes de jeu libre, les enfants font des apprentissages », expliquent, comme en écho, Karla et Madame Soheir. Dans les deux cas, on travaille par thème, en fonction notamment des saisons.
Dans le groupe de Karla, on apprenait mardi à compter avec un immense dé que les enfants lançaient sur le sol. Après avoir compté les picots à l’unisson, l’enfant devait sauter par-dessus le dé le nombre de fois déterminé par le hasard. Le lendemain, dans la classe de Madame Soheir, le chiffre était écrit au tableau et les enfants sautaient dans un cercle.
Causerie, activité d’apprentissage, collation, jeux éducatifs, jeux libres ou sortie au parc, dîner, histoire, repos et retour sur la journée. Les horaires se ressemblent d’un milieu à l’autre. À l’école, les enfants dînent au service de garde plutôt que dans le local avec l’éducatrice, comme au CPE. La sieste est aussi beaucoup plus courte à l’école. Enfin, à l’école, les enfants partent à 15 h 15 pour aller à la maison ou au service de garde, alors qu’au CPE, les enfants restent avec leur éducatrice jusqu’à 18 h.
La différence s’entendait tout de même entre les deux milieux. Effet du hasard, peut-être, mais les enfants étaient beaucoup moins bruyants à l’école qu’au CPE.
Complémentarité
« Personnellement, je n’aurais pas envoyé mes enfants en maternelle 4 ans, mais ici, ça répond à un besoin, affirme Madame Céline, qui enseigne elle aussi aux petits de 4 ans à l’école Saint-Noël Chabanel et qui a envoyé ses enfants au CPE. Les deux réseaux ont leur raison d’être. Ils doivent être offerts en complémentarité. »
Tous s’entendent pour dire que la maternelle 4 ans répond à un réel besoin en milieu défavorisé, car la majorité des enfants qui y sont scolarisés n’ont jamais fréquenté un service de garde auparavant. Certains n’ont jamais tenu un livre ou une paire de ciseaux. Plusieurs sont fraîchement arrivés au pays et ne parlent pas la langue.
Mais étendre le service à tous les enfants ? Ce n’est pas souhaitable, répondent-ils tous. Et c’est surtout impossible à réaliser, en raison du manque d’espace dans les écoles qui débordent et de la pénurie de personnel. À la CSDM uniquement, cela nécessiterait l’ajout de 477 nouvelles classes, soit l’équivalent de 23 écoles. « Ce n’est pas réaliste », soupire la présidente, Catherine Harel Bourdon.
« Ce n’est ni souhaitable ni faisable », tranche pour sa part Christa Japel, professeure au Département d’éducation de l’UQAM, qui s’intéresse notamment à la qualité des services éducatifs à la petite enfance. « On se base sur l’idée que ça a fonctionné en Ontario, ça a l’air d’une solution facile et ça peut plaire aux parents, mais on compare des pommes avec des oranges. En Ontario, il n’y a pas de réseau de CPE et les services de garde coûtent une véritable fortune. »
Même la Fédération autonome de l’enseignement, qui a mené le projet-pilote sur les maternelles 4 ans, estime qu’il faut se concentrer sur les milieux défavorisés. « Mais il faut faire attention de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain », met en garde Nathalie Morel.