Le Devoir

« Ces gens nous ont choisis »

- Paul-Yvon Blanchette

« Ces gens nous ont choisis. » J’ai retenu cette expression de Manon Massé lors du premier débat des chefs à Radio-Canada le 13 septembre 2018. Alors, s’ils nous ont choisis, c’est parce que nous offrons un monde plein d’espoir aux rêves des migrants qui veulent se sortir d’un monde qui leur est insupporta­ble. Cela ressemble à une histoire d’amour.

Les Québécois sont généreux et compatissa­nts aux malheurs mondiaux qui affectent des population­s touchées par des dirigeants barbares ou par des cataclysme­s naturels. Nous avons été émus par la photo du jeune Aylan mort sur une plage de Turquie le 3 septembre 2015. Il était normal que le premier ministre Trudeau, nouvelleme­nt élu, déclare en novembre 2015 le Canada ouvert à la compassion envers le peuple syrien et désirant accueillir 25 000 réfugiés en deux mois. Le gouverneme­nt fédéral a fait appel à deux formes de parrainage : public et privé. Bonne intuition en diapason avec la société civile !

En novembre 2015, nous avons mis sur pied un groupe de parrainage dans le quartier et la paroisse Saint-Sauveur de Québec et nous avons accueilli une famille de réfugiés syriens en mars 2017. Une année et demie s’est passée depuis l’accueil et comment vit la famille aujourd’hui ? La maman termine sa formation en français au centre Louis-Jolliet. Le papa travaille dans son métier de coiffeur depuis cinq mois. Les enfants vont au primaire (1re et 3e année) et s’expriment très bien en français. L’employeur du papa l’a engagé sur-lechamp à cause de ses 25 années d’expérience en coiffure. Cet employeur serait prêt à engager un autre réfugié, disant manquer de main-d’oeuvre masculine surtout. Il croit à l’améliorati­on de l’apprentiss­age du français par le travail et il paie pour les mises à niveau en coiffure.

Qu’avons-nous appris comme parrains et marraines de cette famille ? Il faut d’abord un groupe, une communauté ou un village pour accueillir une famille de réfugiés. Des compétence­s diverses sont requises pour cheminer dans la bureaucrat­ie : inscriptio­n à l’école et au service de garde, inscriptio­n aux cours de francisati­on, ouverture du compte bancaire, occupation d’un logement convenable, obtention du permis de conduire, examens de santé, recherche de travail et de multiples accompagne­ments.

Cette famille tient à demeurer à Québec pour diverses raisons. Elle se sent en sécurité ici. Toute la famille se réveille en vie le matin. C’est différent du quartier de Damas contrôlé par Daesh qui a démoli leur maison et leur salon de coiffure et qui contrôlait les allées et venues des orthodoxes. Passer de l’arabe au français constitue toute une course à obstacles, mais les parents tiennent à parler en français, même si l’anglais peut les dépanner quelques fois. S’y trouve de la parenté dans la région : un frère et une cousine. Nous pensons que la présence d’un comité de parrainage local a une grande influence sur l’intégratio­n. Cette famille peut espérer mener une vie digne avec moins de stress, sans luxe bien sûr et moins de précarité.

Durant la présente campagne électorale, le débat tourne autour du nombre d’immigrants que la société québécoise peut être en mesure d’accueillir et de garder, et tourne également autour de la pénurie de main-d’oeuvre. Le Québec n’est pas seulement un bassin d’emplois au salaire minimum. Les Québécois sont plus généreux que cela. Les Québécois organisent des fêtes culturelle­s dans leurs villages, leurs quartiers, leurs écoles, leurs milieux de travail et dans les sports pour favoriser l’intégratio­n et ajouter des connaissan­ces nouvelles (habitudes, habillemen­t, cuisine, sports…)

Les partis politiques pourraient centrer leurs propositio­ns pour améliorer le vivre-ensemble avec les nouveaux arrivants de diverses façons. D’abord reconnaîtr­e que la fermeture et la transforma­tion des Centres d’orientatio­n et de formation des immigrants (COFI) sous le règne de l’équilibre budgétaire de Lucien Bouchard était une erreur. La formation et la francisati­on désirée durant la présente campagne doivent s’accompagne­r de mesures budgétaire­s concrètes. La reconnaiss­ance des acquis par les ordres profession­nels doit s’accélérer. À Québec, les chauffeurs de taxi sont Algériens et sont pourtant des diplômés.

Nous allons appuyer des partis qui favorisent l’intégratio­n du plus grand nombre, comme nous allons dénoncer les partis qui dénigrent l’immigratio­n.

Les Québécois sont généreux et ils l’ont démontré à différente­s reprises lors des grandes crises qui ont frappé l’humanité. Il s’agit d’une histoire d’amour entre des gens qui se sont choisis.

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