La pertinence des « communs »
Il existe un nouveau mode de développement plus démocratique
Alors que l’on entend de plus en plus parler de l’importance d’un changement de paradigme pour protéger l’environnement et réduire les inégalités, mais que ce genre d’idée est quasi absente de la campagne électorale, nous souhaitons faire connaître ici l’approche des communs. Il s’agit d’une invitation à penser autrement.
Au Québec et ailleurs, nos ressources naturelles font l’objet d’accaparement privé, alors qu’elles devraient bénéficier à tous. Nos données numériques, le pétrole du XXIe siècle, sont également sujettes à des mécanismes d’appropriation commerciales qui excluent les communautés concernées de leur usage et de leur mise à profit. Ces mécanismes de dépossession contribuent à l’épuisement de richesses environnementales et sociales et à des utilisations qui vont à l’encontre de l’intérêt collectif. Le scandale Facebook-Cambridge Analytica en est un exemple.
Heureusement, d’autres modèles de gestion des ressources existent. On pense aux ruelles vertes mises en place par des comités de citoyens, à des friches urbaines et à des bâtiments désaffectés réclamés par un voisinage pour repenser collectivement leurs usages, ainsi qu’à des communautés virtuelles qui alimentent collectivement des bases de données cartographiques (OpenStreetMap) ou encyclopédiques (Wikipédia) gigantesques ouvertes à tous. On pense également aux logiciels libres, à propos desquels la Ville de Montréal vient de se doter d’une politique ambitieuse. Ces initiatives se reconnaissent de plus en plus dans un ancien vocable qui retrouve aujourd’hui toute sa pertinence, celui de « commun ».
Une réponse
Ni privés ni publics, les communs offrent une réponse à des problèmes de dépossession et d’exclusion. Ils remettent en question le paradigme de la propriété individuelle exclusive. Privilégiant l’usage des ressources sur leur détention, ils développent des processus collectifs (commoning) dont une communauté se dote pour gérer des ressources sur lesquelles elle revendique des droits. Les communs favorisent la création de richesse par la mise en commun de ressources intellectuelles, sociales, matérielles et environnementales.
Les communs existent sous une diversité de formes et d’arrangements institutionnels, comme l’ont démontré les travaux d’Elinor Ostrom, Prix Nobel d’économie, et d’autres chercheurs qui ont étudié l’action collective et la gestion des biens communs. Leurs recherches contredisent la croyance bien ancrée soutenant que la propriété collective des ressources mène à leur surexploitation. Cette « tragédie des communs » a largement nourri le discours néolibéral et justifié la privatisation de terres, de sources d’eau, de forêts et d’autres biens communs partout dans le monde. On sait maintenant que ces politiques ont contribué à l’augmentation des inégalités, sans pour autant assurer une gestion plus écologique de ces ressources.
Menés durant plusieurs décennies, les travaux d’Ostrom démontrent au contraire que l’action collective peut être un moyen efficace de gérer des ressources de manière équitable et pérenne, tout en renforçant les liens sociaux qui tissent des communautés résilientes et durables. Ils ont mis en lumière des pratiques d’autogestion coordonnées et régulées d’une grande efficacité.
Au Québec, la logique des communs est déjà présente dans de nombreux secteurs et de nombreuses régions, où elle permet de résoudre des défis bien concrets. Pensons à l’économie sociale par exemple. Les organisations de cette famille, bien ancrées dans l’économie réelle, naissent de la volonté entrepreneuriale de personnes qui se regroupent pour produire des biens et des services contribuant à un enrichissement collectif qui ne se compte pas seulement en dollars. Elles produisent de la richesse sociale et environnementale qui passe généralement sous le radar des décideurs puisqu’elle n’est pas entièrement comptabilisée dans le PIB. Les coopératives d’habitation, les centres de la petite enfance (CPE), les entreprises culturelles comme le cinéma Beaubien et la SAT sont tous des exemples d’entreprises d’économie sociale qui servent de levier à la création de richesses collectives.
Gestion environnementale
Plus largement, on peut aussi penser aux nombreuses initiatives fondées sur l’échange, la réciprocité et l’établissement progressif de règles d’usage, comme les projets de réappropriation d’espaces (ruelles, terrains vacants, places publiques, etc.) ou d’autres actifs publics et même privés (bâtiments, véhicules), ou encore les initiatives issues du vaste champ des communs numériques (logiciels, données).
Cela donne envie d’aller plus loin, par exemple en matière de gestion environnementale. À travers l’État québécois, nous sommes légalement propriétaires de 92 % du territoire, de 4500 rivières et d’un demi-million de lacs. C’est à des entreprises privées que l’on confie principalement la gestion des forêts et des gisements miniers qui s’y trouvent, avec les conséquences environnementales et sociales que l’on connaît. Au fil des décennies, 700 sites miniers contaminés ont été abandonnés. Les coûts associés à cet héritage toxique sont estimés à 1,2 milliard de dollars. Voilà un bel exemple de privatisation des profits et de socialisation des coûts. Nous pourrions faire mieux en matière de gestion écologique et équitable d’un bien commun! L’approche des communs pourrait redonner aux peuples autochtones des possibilités de mieux jouir de leur territoire.
Ces exemples, sans être exhaustifs, laissent entrevoir un terreau fertile à la culture des communs au Québec. Nous pensons que cette approche a le potentiel de devenir un narratif rassembleur pour toutes celles et tous ceux qui pensent qu’il est grand temps de réfléchir à un nouveau mode de développement plus démocratique, plus équitable et plus écologique. Un modèle qui nous redonne confiance en notre avenir collectif. * Ce texte est cosigné par une trentaine de personnes, dont on trouvera la liste complète sur nos plateformes numériques.