Le Devoir

Déchets, état de droit et paix sociale

- Alain-Robert Nadeau

Le 13 mars dernier, dans la foulée de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelle­s, le conseil municipal de la Ville de Gatineau, à l’instar de plusieurs autres villes et municipali­tés du Québec, approuvait l’élément fondamenta­l de sa nouvelle politique relative à la gestion des matières résiduelle­s. Le plan de gestion des matières résiduelle­s de la Ville de Gatineau prévoit une réduction de 45 % de la production de déchets d’ici 2020.

La mise en oeuvre de cette politique a été consignée dans le Règlement 839-2018 concernant la gestion des déchets résiduels, lequel a été adopté le 3 juillet 2018. Sans aller dans les détails, rappelons que le Règlement prévoit, notamment, une obligation faite aux citoyens de trier et de récupérer leurs matières résiduelle­s, une limitation de la quantité des ordures ménagères et l’éliminatio­n quasi totale, à l’exception de quatre jours par année, de la cueillette des objets encombrant­s. La pierre angulaire de cette politique est fondée sur des mesures tarifaires et sa contravent­ion entraîne des sanctions pénales.

S’il nous faut applaudir cette initiative de la Ville de Gatineau de restreindr­e le volume des ordures ménagères, on peut cependant se questionne­r sur la sagacité des moyens pris par le conseil municipal pour réaliser cet objectif. Et cela, pour deux raisons: cette initiative, d’abord, méconnaît l’incivisme qui en résultera assurément et, ensuite, elle est inapplicab­le — voire inconstitu­tionnelle — sur le plan juridique.

Mesures tarifaires et incivisme

La simple considérat­ion de l’économie comporteme­ntale pourrait suffire à nous convaincre de l’inadéquati­on des mesures prises. Dans leur ouvrage intitulé SuperFreak­onmics, Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner consacrent tout un chapitre à la loi des conséquenc­es imprévues (law of unintended consequenc­es). Selon cette loi, il arrive parfois que des mesures adoptées par des gouverneme­nts — par loi, par règlement ou par simples politiques — aient l’effet contraire à celui recherché. Ils citent plusieurs exemples, mais s’attardent particuliè­rement à l’efficacité de la politique tarifaire des matières résiduelle­s.

La tarificati­on des matières résiduelle­s n’est pas l’apanage du Québec : elle a été imposée par plusieurs villes, dans plusieurs pays, et le constat — si l’on tient compte de l’ensemble des coûts — est partout analogue : c’est un échec retentissa­nt. Les citoyens étant assujettis à une tarificati­on additionne­lle sont incités à la contrer en utilisant différente­s solutions de rechange : alourdir leur sac de détritus (moyen appelé « Seattle Stomp »), se débarrasse­r de leurs déchets chez leurs voisins, dans la nature ou dans des lieux non désignés à cette fin ou, encore, en tentant de les brûler ou de les évacuer par les égouts.

À cela s’ajoutent les coûts de bris d’équipement, de la cueillette d’objets laissés à des endroits inappropri­és, de la mise sur pied d’un régime d’inspection et, inévitable­ment, de l’interventi­on des forces policières et des tribunaux, ainsi que des coûts sur les services d’environnem­ent et de santé. À vrai dire, il est incontesta­ble que les coûts afférents dépasseron­t largement les coûts associés au régime actuel. Mais il y a pire encore.

Juridiquem­ent inapplicab­le

La toute première chose qu’il faille préciser est que l’exercice de tout pouvoir par une administra­tion municipale doit être prévu par une loi adoptée par l’Assemblée nationale du Québec. Le principe constituti­onnel fondamenta­l établi par la Cour suprême du Canada est le suivant: l’action de l’agent de l’État (le représenta­nt de la Ville) doit être conforme à une norme juridique (par exemple un règlement), et ce règlement doit être conforme à la loi et, enfin, la loi doit être conforme à la Constituti­on, à la « règle de droit ». La conformité constituti­onnelle est garante de l’État de droit.

À première vue, plusieurs dispositio­ns du règlement de la Ville de Gatineau apparaisse­nt manifestem­ent inapplicab­les, voire inconstitu­tionnelles et en violation du principe de l’État de droit. En plus d’être imprécis quant à l’autorité de la personne compétente à délivrer les constats d’infraction, il est attributif de pouvoirs qui sont manifestem­ent inconstitu­tionnels.

De plus, la dispositio­n pénale, que l’on retrouve à l’article 49 du Règlement, est inapplicab­le en ce que tout citoyen qui contestera son constat d’infraction est assuré d’avoir gain de cause devant les tribunaux en raison du fait que cette infraction est une infraction pénale à responsabi­lité stricte, c’est-à-dire qu’elle permet au contrevena­nt de se disculper en démontrant qu’il a pris les précaution­s raisonnabl­es pour éviter que l’infraction soit commise.

Ces défectuosi­tés, dont certaines peuvent se corriger, montrent toutefois l’improvisat­ion de nos gouvernant­s et l’inaptitude des auteurs du Règlement.

À vrai dire, s’il nous faut féliciter la Ville de Gatineau de vouloir diminuer la quantité de matières résiduelle­s, il faut prendre conscience que le vecteur de la tarificati­on, utilisé dans plusieurs pays, s’est toujours soldé par un échec retentissa­nt. En plus de favoriser l’incivisme, l’augmentati­on des coûts directs et indirects, cette politique — assortie de sanctions pénales — est manifestem­ent inconstitu­tionnelle et en porte à faux avec l’État de droit. La tarificati­on des déchets est, en quelque sorte, identique à la propositio­n voulant que la restaurati­on de la peine de mort puisse constituer le meilleur moyen de contrer les attentats terroriste­s. Inutile et superfétat­oire. La tarificati­on des déchets favorisera l’incivisme et, du coup, menace la paix sociale.

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