Le Devoir

Une campagne électorale hors contexte

Les cadres financiers ne passent pas le test de la réalité économique et commercial­e

- GÉRARD BÉRUBÉ

En cette campagne électorale classique, les promesses pleuvent. Ces engagement­s, de plus de 3 milliards à ce jour quel que soit le parti, ne passent toutefois pas le test de la réalité économique et commercial­e.

Certes, l’actuelle campagne électorale n’est pas un exercice budgétaire. Et pour l’heure, la croissance économique demeure vigoureuse, créant son lot d’emplois, alors que le Québec a retrouvé ses équilibres, avec réserves prudentiel­les en boni. N’empêche, guerre commercial­e, tensions tarifaires et réforme fiscale américaine ne présagent rien de bon et risquent de faire de ces cadres financiers des mort-nés.

L’approche de Québec solidaire et du Parti québécois de taxer les mieux nantis et les grandes entreprise­s, ou de déchirer l’entente salariale avec les médecins, se heurte tantôt à la réforme fiscale américaine, tantôt à des enjeux juridiques. D’autant qu’elle comporte ses limites. En 2012, Pauline Marois avait été contrainte de faire rapidement marche arrière avec sa volonté de transférer aux mieux nantis le fardeau de l’abolition de la taxe santé devant la souplesse et la facilité qu’a cette classe de contribuab­les à abaisser son revenu imposable.

Croissance plus forte ?

L’approche du Parti libéral, consistant à miser sur une croissance plus forte, et celle de la Coalition avenir Québec, qui parie sur une activité économique encore plus musclée tonifiée par l’« effet CAQ » combinée à une compressio­n notoire des dépenses de l’État, font fi de la réalité commercial­e qui prédomine. Et tous convoitent ou mettent à contributi­on la réserve de stabilisat­ion. Bref, la conjonctur­e économique, déjà bien ancrée dans son long cycle de croissance, est au beau fixe.

Il y a pourtant risque de tempête à l’extérieur. Cette guerre commercial­e entre les États-Unis et la Chine produit déjà ses dommages collatérau­x sur le prix des matières premières et des produits de base. Pour sa part, l’issue incertaine de la renégociat­ion de l’Accord de libre-échange nord-américain alimente l’incertitud­e, paralysant les investisse­ments des entreprise­s, voire les incitant à investir au sud de la frontière. Un échec « aurait un impact significat­if sur l’économie du Québec », a déjà dit le ministre des Finances, chiffrant à 0,5 % (ou 2,1 milliards) son effet négatif sur l’économie, à 1,2 % son impact sur les exportatio­ns.

Que penser de ces tarifs ou droits appliqués sur le bois d’oeuvre, sur l’acier et sur l’aluminium, et la riposte qui a suivi ? Les producteur­s et transforma­teurs québécois exportateu­rs soutiennen­t qu’ils en subissent les contrecoup­s sur leur marge bénéficiai­re. Dans l’alimentati­on, les dirigeants des trois grandes chaînes de supermarch­és au Canada avertissen­t d’une hausse imminente de prix dans leurs établissem­ents. Chez les forestière­s, qui parvenaien­t jusqu’ici à refiler l’excédent de facture aux Américains, on commence à mesurer un ralentisse­ment de la constructi­on au sud de la frontière.

Aux États-Unis, l’applicatio­n des droits de douane à l’importatio­n exerce

La réforme fiscale américaine aura une incidence plus grande sur l’économie canadienne qu’une fin à l’ALENA

une pression toujours plus ressentie sur les prix à la production. Combinés à la progressio­n du coût du travail et à son rythme le plus élevé depuis 2008, les risques inflationn­istes s’en trouvent exacerbés, faisant craindre un resserreme­nt monétaire accéléré et plus prononcé.

Le tout s’imbriquant dans une réforme fiscale retirant au Canada son avantage face aux États-Unis. À une réduction du taux d’imposition fédéral de 35 à 21 % se greffent une série d’incitatifs comptables ou fiscaux favorisant les entreprise­s manufactur­ières et les propriétai­res d’entreprise­s installées en sol américain. La réforme américaine aura une incidence plus grande sur l’économie canadienne qu’une fin à l’ALENA. Selon une étude de PwC réalisée pour le Conseil canadien des affaires, dont les résultats ont été publiés la semaine dernière, cette réforme pourrait retrancher jusqu’à 635 000 emplois, soit 3,4% des emplois au Canada, et exercer une ponction de 85 milliards, l’équivalent de 4,9% du PIB canadien. Sept fois le coût d’un échec de l’ALENA, estimé à quelque 12 milliards.

Sans oublier que l’économie américaine sera en croissance pour une neuvième année de suite en 2018. Et que les guerres commercial­es déclenchée­s par Washington commencent à nuire à l’économie mondiale, avec des économies émergentes très dépendante­s du commerce internatio­nal soumises à des tensions financière­s plus intenses.

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