Legault se pose en défenseur des valeurs
Le dernier débat des chefs de la campagne électorale a vu François Legault se poser en défenseur des valeurs de la majorité des Québécois, au sortir d’une semaine difficile où le thème de l’immigration a ébranlé ses appuis.
« Vous ne voulez pas défendre nos valeurs ! » a lancé le chef caquiste au premier ministre sortant lors du segment immigration du débat organisé jeudi par TVA. Il a accusé Philippe Couillard d’empêcher l’Assemblée nationale de légiférer et de renforcer la laïcité de l’État québécois en interdisant le port de symboles religieux chez les personnes en position d’autorité, dont les policiers. Pourquoi vous êtes contre la majorité des Québécois ? » lui a-t-il demandé.
M. Couillard a répliqué que le chef du gouvernement a le devoir de « protéger » les droits fondamentaux des minorités sur le territoire québécois. Il a déploré du même souffle le « mépris à peine voilé » du chef caquiste à l’égard des personnes issues de la diversité.
Au moment d’écrire ces lignes, vers 22h, le débat s’achevait tout juste. La formule du Face-à-face a permis des échanges relevés entre des protagonistes qui avaient une dernière occasion de renverser les tendances dégagées par les sondages des derniers jours — qui montrent que tout demeure possible à dix jours du scrutin.
François Legault s’est montré plus combatif et à son aise que la semaine dernière, prompt à critiquer le bilan libéral de Philippe Couillard sans multiplier les références chiffrées. Manon Massé, qui avait été en retrait des deux premiers débats (de Radio-Canada et en anglais), a trouvé à TVA un format lui permettant de mieux mettre en valeur ses propositions et d’utiliser son sens de la formule.
Jean-François Lisée, que plusieurs ont donné gagnant des premiers débats, avait promis cette fois de mieux écouter ses adversaires… et il a parfois semblé chercher le rythme et le ton au fil d’une soirée où le modérateur l’a souvent rappelé à l’ordre. Quant à Philippe Couillard, calme et en contrôle comme à son habitude, il a été sans cesse attaqué et obligé de défendre son bilan — notamment des années d’austérité —, que ses adversaires ont vilipendé à souhait.
L’animateur du Face-à-face, Pierre
Je viens de me faire bouffer du » temps en torrieu pour parler santé MANON MASSÉ
Bruneau, a lancé les échanges sur l’immigration en demandant à M. Legault d’expliquer son plan de réduction des seuils — un exercice qui s’est avéré laborieux au cours de la dernière semaine. « Personne ne s’y retrouve », a lancé M. Bruneau, avant de demander sans détour à M. Legault s’il a la « compétence pour gérer des dossiers complexes ».
« Je ne suis pas parfait, ça m’arrive de faire des erreurs, a-t-il dit. Vous [Philippe Couillard], ce que vous aimez faire, c’est donner des leçons. »
M. Legault a répété qu’« il n’est pas question d’expulser une personne» qui échouerait, au bout de quatre ans, aux tests qu’il souhaite instituer. « Les seuls qu’on veut expulser, c’est le Parti libéral ! » a-t-il lancé. « Ne faites pas croire aux Québécois que vous avez changé d’avis là-dessus », a rétorqué le chef libéral, qui a fait valoir que le portrait de l’immigration n’est pas aussi sombre que le dépeignent ses adversaires.
Mme Massé a dit soupçonner le chef de la CAQ de préconiser une diminution des seuils d’immigration et l’imposition de tests des valeurs et de français pour « gagner des votes ». « Je vous crois quand vous dites que vous n’avez rien contre les immigrants », a-t-elle dit. La co-porte-parole de Québec solidaire s’est dite désolée de voir l’immigration se hisser parmi les principaux enjeux de la campagne électorale.
Jean-François Lisée
Le débat a débuté sur une note particulière alors que Jean-François Lisée a détourné son segment avec Manon Massé sur le thème de la santé pour parler… de la gouvernance de Québec solidaire et de la convergence avortée des deux partis. Mais sa tentative de s’adresser ainsi aux électeurs souverainistes a été bloquée par le modérateur Pierre Bruneau. « Je viens de me faire bouffer du temps en torrieu pour parler santé », a dénoncé Manon Massé.
Le premier affrontement de la soirée mettait aux prises Philippe Couillard et François Legault, deux ex-ministres de la Santé qui se sont renvoyé la balle sur la question de la rémunération des médecins spécialistes. « C’est vous qui [en 2002] nous avez mis dans ce tordeur », a lancé M. Couillard au chef caquiste en parlant d’une entente signée par M. Legault qui garantissait un rattrapage salarial des médecins spécialistes québécois par rapport à la moyenne canadienne.
« L’entente parlait d’un rattrapage, il n’a jamais été question de dépasser le reste du Canada », a rétorqué M. Legault.
À plusieurs reprises au cours de la soirée, les chefs ont tenté de dévier du sujet imposé ou de s’adresser à un autre chef que celui auquel ils faisaient face à ce moment-là. Ainsi, François Legault a visé Jean-François Lisée dans un segment sur l’assurance dentaire. « Je connais M. Lisée depuis longtemps: c’est une idée, une dépense, une taxe. »
Dans le bloc sur les aînés, Philippe Couillard a insisté sur le déficit laissé par le gouvernement Marois pour parer les attaques de M. Lisée. « Les 7 milliards [évoqués par M. Couillard] n’existent que dans les textes de propagande des libéraux, a dit M. Lisée. Vous mentez ! »
François Legault a autrement tenté de mettre en valeur des mesures qu’il n’avait pas tant évoquées lors du premier débat : l’allocation famille, la maternelle 4 ans, l’aide aux enfants qui ont des troubles de développement… et la valeur de son équipe, dont il a nommé plusieurs membres.
Philippe Couillard a eu à défendre sa déclaration controversée de jeudi matin (voir texte ci-contre) comme quoi il est possible de nourrir une famille de trois personnes avec 75 $ par semaine. « Doit-on vous prendre au sérieux ? » a demandé M. Bruneau.
«Je connais des gens très près de moi qui le font, malheureusement, a dit M. Couillard. Des gens le font, malheureusement. Il faut le reconnaître. Et pour corriger ça, il faut développer des moyens », comme son plan de lutte contre la pauvreté. « Vous êtes déconnectés », a dit M. Legault. Ce dernier a dit que ça lui coûtait 250 à 300 $ par semaine pour une famille de quatre. «Vous avez les moyens», a avancé l’ancien neurochirurgien en réponse.
Corruption
Les chefs du PQ, de la CAQ et de QS ont par ailleurs fait bloc afin de dénoncer les affaires de corruption ayant surgi au fil des quinze dernières années.
M. Lisée a dit trouver « bizarre » la « lenteur » des enquêtes de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) visant le PLQ ou des personnes dans son orbite. « Depuis que les libéraux sont revenus, c’est très lent », a-t-il martelé. « Vous avez plus aidé la famille libérale que les familles du Québec », a tonné M. Legault.
« Mon gouvernement n’a rien à se reprocher sur le plan de l’éthique », a dit M. Couillard, soupçonnant son adversaire péquiste de vouloir « intervenir dans les affaires policières ».