Le budget publicitaire du Québec sur le Web explose
Un peu plus haut, un peu plus loin. L’argent versé par le gouvernement du Québec pour ses campagnes publicitaires et son existence numérique aux géants du Web a explosé dans la dernière année pour atteindre plus de 6 millions de dollars, a découvert Le Devoir. C’est une hausse de près de 120% par rapport à l’année précédente.
Les principaux ministères, mais aussi les grands organismes publics et sociétés d’État sont désormais des clients fidèles de Facebook, Google, Twitter ou encore LinkedIn, installés en Californie, ce qui n’est pas sans attiser des jugements critiques face à cette importante exportation aux États-Unis de fonds publics, au profit de compagnies ne respectant pas, pour la plupart, les règles fiscales en vigueur au pays.
« Il y a là un paradoxe, a commenté l’éthicien André Villemure en entrevue. Un gouvernement qui a la charge de percevoir des taxes, qui doit agir en protecteur du bien commun, encourage par ses achats publicitaires des entreprises qui ne paient pas de taxes ici. »
Notons qu’entre 2016-2017 et 20172018, l’Agence du revenu du Québec, le percepteur d’impôts de la province, a fait croître de 272% ses dépenses en publicité auprès de Facebook, Google et LinkedIn, selon des données obtenues en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Cette augmentation a été de 81 % du côté du ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation et de 137 % pour le ministère québécois des Finances.
Dans l’ensemble, les achats en publicité de l’État québécois au profit de ces géants du Web sont passés de 2,8 millions de dollars en 2016-2017 à 6,1 millions l’année dernière, indiquent ces données inédites. Plusieurs organismes et ministères ont contribué plus que d’autres à cette tendance haussière. C’est le cas de la Société des alcools du Québec (SAQ), dont les dépenses ont grimpé de 600 % en un an, du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (+566 %) ou encore du ministère de l’Éducation (+271 %). Entre autres.
Par ailleurs, à eux seuls, la Société des casinos du Québec, Loto-Québec, Hydro-Québec et le ministère de la Santé ont envoyé 3,2 millions de dollars l’an dernier en redevances publicitaires à ces multinationales de socialisation numérique, soit près de la moitié des dépenses totales du gouvernement leur étant adressées.
« Une partie du montant réservé à la publicité des campagnes sociétales est investie dans la publicité numérique », a expliqué Marie-Claude Lacasse, porte-parole du ministère de la Santé, qui a versé un demi-million de dollars en achat de mots-clés, en publicité vidéo diffusée sur YouTube et en messages ciblés sur Facebook. Le ministère estime que ces médias ne peuvent être ignorés « pour rejoindre certaines de [ses] clientèles cibles » et ajoute que les plateformes numériques de « certains télédiffuseurs locaux » profitent de ses budgets publicitaires, dont Illico, Tou.tv et VRAK.
De manière laconique, le ministère de l’Éducation a indiqué que l’argent versé à ces compagnies du Web l’a été pour faire la promotion de l’offre éducative du Québec sur la scène internationale ou pour faire la promotion de programmes. Sans plus de détails. « Nous n’avons pas le choix d’utiliser Google pour l’achat des mots-clés si nous voulons apparaître sur les moteurs de recherche, a indiqué pour sa part Linda Bouchard, porte-parole de la SAQ. Par ailleurs, comme il n’existe aucun réseau social canadien ou québécois, Facebook est un canal indispensable pour créer de l’engagement auprès des Québécois ».
En augmentant sa présence sur les réseaux sociaux, l’État québécois donne l’impression qu’il est «entré dans le nouveau monde, dit René Villemure, mais donne-t-il le bon exemple ? Nous sommes devant des décisions prises à courte vue. L’économie se porte mieux lorsque les achats sont faits localement. Dans ce cas, l’État contribue à la destruction de l’écosystème médiatique en soutenant la concurrence étrangère à ses médias locaux », qui historiquement profitaient de cette manne publicitaire gouvernementale. « Or, il y a un intérêt public à maintenir une presse locale forte», conclut-il.