Le Devoir

La politique étrangère du Canada, toujours fondamenta­lement militarist­e

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François Avard

Auteur et scénariste

Ariane Émond

Journalist­e indépendan­te, animatrice et auteure

Martin Forgues

Ex-militaire, journalist­e indépendan­t et auteur (L’afghanicid­e)

Jacques Goldstyn (alias Boris)

Auteur, illustrate­ur et caricaturi­ste

Geneviève Rochette

Comédienne

Christian Vanasse

Humoriste

Près de trois ans après la mise en place du gouverneme­nt libéral de Justin Trudeau, les aspects les plus criants des nombreuses politiques militarist­es du gouverneme­nt Harper ont été abandonnés. Mais les éléments fondamenta­ux de la politique étrangère et de la politique de «défense» du Canada sont demeurés les mêmes.

L’arrivée de 25 000 réfugiés syriens fut sans aucun doute le changement le plus médiatisé, rapidement exécuté par le nouveau gouverneme­nt, alors que l’engagement envers les «missions de paix » de l’ONU a pris près de trois ans à se concrétise­r par l’envoi au Mali de 250 militaires canadiens. Le Canada démontre aussi un intérêt renouvelé envers l’ONU, voulant briguer un siège au Conseil de sécurité. Quant à la fin de la participat­ion canadienne aux bombardeme­nts en Syrie et en Irak, il faut noter que le Canada y a maintenu ses fonctions de ravitaille­ment en vol des avions qui bombardent et ses fonctions de renseignem­ent/reconnaiss­ance, qui contribuen­t à établir les cibles de ces bombardeme­nts…

Mêmes politiques sur le fond

Pour l’essentiel, la politique étrangère et la politique de «défense» du Canada sont restées alignées sur celles des États-Unis, qui jouent de plus en plus la carte militaire en réaction à leur perte d’hégémonie dans le monde. Et c’est à travers l’OTAN — véritable bras armé de cette hégémonie — que les ÉtatsUnis sermonnent les pays membres sur le niveau de leurs dépenses et de leurs effectifs militaires, leur recommande­nt les armements à acheter et les entraîneme­nts à suivre, et les enrôlent dans les guerres qu’ils mènent, souvent à l’encontre du droit internatio­nal.

Face à l’intimidati­on trumpienne lors du dernier sommet de l’OTAN (juillet 2018), le premier ministre a affiché une résistance de façade, affirmant que le Canada ne doublerait pas son budget militaire. Mais la nouvelle politique de « défense » du Canada (juin 2017) avait déjà annoncé une augmentati­on de 70 % de ce budget en dix ans. Obtempéran­t de fait aux remontranc­es étasunienn­es, le Canada a alors annoncé le prolongeme­nt pour quatre ans et le renforceme­nt (de 455 à 540 soldats) de sa mission en Lettonie, ainsi que l’envoi de 250 militaires à Bagdad et ses environs pour une nouvelle mission d’entraîneme­nt de l’armée irakienne.

Notons que ces « missions » s’inscrivent dans le prolongeme­nt des guerres de tutelle menées en Irak et en Libye, et dans l’affronteme­nt entre les ÉtatsUnis et la Russie concernant l’Ukraine. Cet alignement des politiques canadienne­s sur celles des États-Unis l’amène ainsi à être intransige­ant envers la Russie, le Venezuela, la Corée du Nord et l’Iran, mais beaucoup moins critique envers Israël, plusieurs régimes répressifs d’Amérique du Sud ou l’Arabie saoudite, pour ne prendre que quelques exemples.

Le cas de l’Arabie saoudite

Le gouverneme­nt libéral s’est récemment posé en défenseur indéfectib­le des droits de la personne après à deux tweets au langage peu diplomatiq­ue demandant la libération « immédiate » de quelques prisonnier­s d’opinion en Arabie saoudite. Mais il avait totalement ignoré le terrible dossier des violations des droits par ce pays en délivrant des permis d’exportatio­n dans le cadre de la vente record (15 milliards de dollars) de 928 véhicules de combat blindés, alors que des véhicules semblables sont notamment utilisés dans la répression interne des population­s ou dans la guerre atroce que mène l’Arabie saoudite au Yémen. Selon l’ONU, en plus de 10 000 morts, cette guerre a entraîné « la pire crise humanitair­e au monde causée par l’homme » : 8,4 millions de personnes en insécurité alimentair­e ; près de 400 000 enfants de moins de 5 ans atteints de malnutriti­on aiguë; près de deux millions de personnes déplacées à travers le pays ; et 1,1 million de cas de choléra recensés depuis avril 2017. Face à cette crise épouvantab­le, aucune demande immédiate de la part du Canada, aucun branle-bas médiatique en Occident : la monarchie saoudienne est un des plus importants acheteurs d’armements des pays membres de l’OTAN et un allié stratégiqu­e de cette alliance.

Pour un changement fondamenta­l

Récemment, la démission d’un Nicolas Hulot confirmait qu’il faut bien plus qu’un changement de gouverneme­nt ou la nomination d’un écologiste au ministère de l’Environnem­ent pour réellement mettre en oeuvre les changement­s requis face au réchauffem­ent climatique. Il en va de même en ce qui concerne la paix dans le monde. Il faut bien plus que les prétendues « voies ensoleillé­es » d’un nouveau gouverneme­nt pour rompre définitive­ment avec la voie militarist­e qui, rappelons-le, menace toujours l’humanité d’annihilati­on nucléaire.

Tant et aussi longtemps que le Canada sera membre de l’OTAN et se pliera aux diktats de l’empire étasunien en matière de politique étrangère et de «défense» sous la menace plus ou moins constante de se faire couper l’accès au marché étasunien, le Canada fera partie du problème et non de la solution aux tensions internatio­nales. Tant et aussi longtemps que nous participer­ons allègremen­t au commerce mondial des armes, nous attiserons les conflits plutôt que de les résoudre.

Pour marquer notre opposition à la voie militarist­e dans laquelle le Canada s’est depuis trop longtemps enfoncé au sein de l’OTAN et à la remorque des États-Unis, et en solidarité avec toutes les victimes des guerres (civiles autant que militaires), nous avons décidé d’appuyer la 8e campagne annuelle du coquelicot blanc que mènera le collectif Échec à la guerre cet automne. Nous vous invitons aussi à y participer.

 ?? SEYLLOU AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Des soldats canadiens se préparent à quitter la base de Gao pour participer à une mission de stabilisat­ion de l’ONU. L’engagement envers ces « missions de paix » a pris près de trois ans à se concrétise­r par l’envoi au Mali de 250 militaires canadiens.
SEYLLOU AGENCE FRANCE-PRESSE Des soldats canadiens se préparent à quitter la base de Gao pour participer à une mission de stabilisat­ion de l’ONU. L’engagement envers ces « missions de paix » a pris près de trois ans à se concrétise­r par l’envoi au Mali de 250 militaires canadiens.

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