Le Devoir

Les enjeux démographi­ques ignorés de la campagne électorale

- Majella Simard Professeur de géographie à l’Université de Moncton

Le Nouveau-Brunswick (N.-B.) fait face à des défis démographi­ques de taille. De vastes segments de la province sont affectés par la décroissan­ce alimentée par l’exode, la dénatalité et le vieillisse­ment. Bien que ces différents phénomènes se manifesten­t suivant des intensités et des rythmes variables selon les endroits, ils contribuen­t à handicaper le développem­ent en plus de se répercuter négativeme­nt sur l’aménagemen­t du territoire, autant d’enjeux qui semblent avoir été écartés de la campagne électorale actuelle et qui nécessiten­t des actions urgentes de la part de l’État.

Depuis 1851, l’évolution de la population du N.-B. a suivi le rythme de celle du Canada à deux reprises, soit entre 19311941 et 1971-1976. En outre, le poids démographi­que du N.-B. au sein du Canada décline de manière continue, ce dernier étant passé de 7,95 en 1851 à 2,13 en 2016. De 1981 à 2016, la population canadienne affichait une croissance de l’ordre de 44,5 %, alors que celle du N.-B. n’était que de 7,2%. Cette faible augmentati­on est très significat­ive en valeur absolue puisque la province compterait aujourd’hui 1 006 302 personnes si elle avait suivi la tendance nationale. Le N.-B. s’est même caractéris­é par une évolution démographi­que négative entre 2011 et 2016, affichant une perte de 4070 habitants.

À l’échelle régionale, alors que les comtés du sud s’enrichissa­ient de 63 718 personnes entre 1981 et 2016, une hausse de 16,7 %, ceux du nord en perdaient 13 020, une baisse de 4,1 %. En considéran­t comme rurales les localités de moins de 2500 habitants, le N.-B. a perdu 29 999 personnes au cours de la même période, une diminution de 13 %, alors que les villes gagnaient 77 761 habitants, une hausse de 17 %. Dans les plus petites localités, c’est-à-dire celles de moins de 500 habitants, la décroissan­ce atteint 47,3 %.

Au final, c’est plus de la moitié des municipali­tés du N.-B. qui ont été touchées par la diminution de leur population entre 1981 et 2016, dont 34 ont perdu plus du tiers de leurs effectifs. Au surplus, au cours des huit recensemen­ts compris durant cette période, 14 municipali­tés se sont caractéris­ées par une décroissan­ce démographi­que continue, parmi lesquelles figurent des villes comme Dalhousie, Shippagan et Bathurst, situées dans le nord de la province. En même temps, certaines villes du sud et leur périphérie immédiate ont connu des augmentati­ons fulgurante­s, dont Dieppe et Memramcook, où la population s’est respective­ment accrue de 658% et de 198 % entre 1981 et 2016.

Personnes âgées

À l’échelle canadienne, le N.-B. est la deuxième province la plus affectée par le vieillisse­ment par le bas, c’est-à-dire par la diminution de la proportion de jeunes parmi la population totale, celleci ayant décru de 18,8 points de pourcentag­e entre 1981 et 2016, comparativ­ement à 5,6 pour le Canada. L’intensité du vieillisse­ment est aussi beaucoup plus prononcée au N.-B. comparativ­ement au reste du pays. Après TerreNeuve-et-Labrador (11,7%), le N.-B. (10,9 %) est la province dont la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus s’est accrue le plus rapidement au Canada (4,8%) au cours des 35 dernières années. Enfin, entre 1999 et 2016, le solde migratoire interprovi­ncial du N.-B. n’a été positif qu’à deux reprises, soit en 2009 et en 2010.

De tels déséquilib­res sont lourds de conséquenc­es en matière d’aménagemen­t du territoire. Par exemple, certaines écoles du nord de la province doivent fusionner, alors que d’autres ferment carrément leurs portes en raison du manque d’élèves. Au sud, le gouverneme­nt doit construire de nouvelles écoles parce que les effectifs sont trop nombreux, ce qui représente des coûts sociaux, économique­s et environnem­entaux importants. De son côté, la décroissan­ce démographi­que a pour effet d’accentuer la dispersion de la population, entraînant une déstructur­ation du tissu de peuplement. Les contribuab­les deviennent alors moins nombreux pour se partager les coûts associés à la dispensati­on des services et à l’entretien des infrastruc­tures de transport. La décroissan­ce se répercute aussi négativeme­nt sur le financemen­t des régimes de retraite et la disponibil­ité de la main-d’oeuvre. Il devient donc urgent de mettre en place une vigoureuse politique démographi­que, laquelle doit être couplée à la mise en oeuvre d’une stratégie provincial­e d’occupation du territoire. En premier lieu, il importe d’accroître le taux de natalité, seul antidote au vieillisse­ment. Parmi les mesures à déployer, nous pensons à l’instaurati­on d’un régime de garderies à bas tarifs, à l’octroi de crédits d’impôt aux familles nombreuses, à l’implantati­on de programmes visant la conciliati­on travail-famille et à la bonificati­on des congés parentaux. Compte tenu des évolutions différenci­ées des trajectoir­es démographi­ques, l’élaboratio­n d’une telle politique doit être modulée aux réalités géolinguis­tiques ainsi qu’aux diverses catégories de milieux tout en considéran­t,d’une part, l’intensité du vieillisse­ment, de la décroissan­ce et de l’exode et, d’autre part, certaines caractéris­tiques de la structure spatiale (distance par rapport aux villes, localisati­on des villes dans l’espace, taille démographi­que des localités, etc.). À cet égard, les milieux ruraux éloignés des centres urbains, les localités de petite taille démographi­que et les villes en dépeupleme­nt devaient recevoir une attention particuliè­re.

Parce que la structure de peuplement exerce un rôle majeur sur l’évolution démographi­que et l’aménagemen­t du territoire, il importe de favoriser une distributi­on plus égalitaire de la population. Comme le suggère Clermont Dugas pour le Québec, il s’agirait dans le cas du N.-B. de renforcer l’armature urbaine des régions du nord de la province de façon à mieux équilibrer le positionne­ment des villes dans l’espace et de maximiser leur effet polarisate­ur. La création de petits pôles urbains ayant une portée régionale favorisera­it une meilleure accessibil­ité aux services, en plus de promouvoir une certaine équité territoria­le. Il s’ensuivrait une améliorati­on de la qualité de vie des Néo-Brunswicko­is, principale finalité d’un développem­ent territoria­l durable.

En premier lieu, il importe d’accroître le taux de natalité, seul antidote au vieillisse­ment de la population

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