Le Devoir

Christiane Ayotte, le dopage et la Russie

- FRÉDÉRIC DAIGLE LA PRESSE CANADIENNE Avec Alexis Bélanger-Champagne et Gregory Strong

Figure de proue du mouvement antidopage, Christiane Ayotte n’est pas surprise que l’Agence mondiale antidopage (AMA) ait réadmis, jeudi matin, la Russie au sein de son giron.

Alors qu’elle exigeait de la Russie qu’elle reconnaiss­e avoir mis sur pied un vaste système de dopage et camouflé des cas positifs d’athlètes russes, en plus d’exiger de remettre tous les résultats et échantillo­ns du laboratoir­e de Moscou, l’AMA a assoupli sa position la semaine dernière, se basant sur les recommanda­tions d’une commission indépendan­te qu’elle a elle-même mise sur pied.

Jeudi, aux Seychelles, sa commission exécutive de 12 membres a voté pour une réadmissio­n de la Russie, même si elle ne remplit pas les deux conditions jugées jusqu’à récemment absolument nécessaire­s.

« On s’attendait à ce qu’il y ait une réaction positive de la commission exécutive de l’Agence, parce qu’il y avait eu une recommanda­tion en ce sens du comité indépendan­t, a indiqué Mme Ayotte dans un entretien avec La Presse canadienne. Ce n’était donc pas une surprise pour moi. Mais je suis en mesure de comprendre la déception. »

« Pour ma part, je doute grandement que les Russes se mettent du jour au lendemain à travailler contre le dopage et acceptent les standards reconnus, a ajouté celle qui dirige le laboratoir­e antidopage du Centre INRS de l’Institut Armand-Frappier. Il y aurait une lettre des instances russes qui aurait permis de régler les différends. L’Agence dit qu’elle suivra ça de près, mais en fin de compte, on a un mouvement sportif fortement divisé ce matin. »

Réactions inégales au Canada

De son côté, l’ancien président de l’AMA, le Montréalai­s Dick Pound, a défendu la décision de son ancienne organisati­on, soutenant qu’il y avait peut-être une faille qui avait été détectée dans la feuille de route originale et qu’il aurait été impossible d’incriminer la Russie sans avoir accès aux échantillo­ns du laboratoir­e.

« Il y a un compromis. La Russie est réadmise, mais sous conditions, avec des échéances, et il n’est pas impossible qu’il y ait de nouvelles sanctions », a rappelé M. Pound.

Cette décision est bien loin de faire l’unanimité, particuliè­rement au Canada. Beckie Scott, l’ex-fondeuse canadienne, a claqué la porte de la Commission des athlètes de l’AMA, dont elle était la présidente, la semaine dernière. Jean-Luc Brassard, dans une entrevue accordée jeudi à Radio-Canada, a déclaré que «les criminels ont pris le contrôle du Tribunal ». Paul Melia, président et chef de la direction du Centre canadien pour l’éthique dans le sport, a dit qu’avec cette décision, « l’AMA lève le nez sur les athlètes propres ». La ministre fédérale des Sciences et des Sports, Kirsty Duncan, a dit que son « gouverneme­nt était perturbé » par la décision. Des réactions qui ne surprennen­t guère Mme Ayotte.

Plusieurs gouverneme­nts, dont l’agence américaine, tirent à boulets rouges sur l’AMA. L’Associatio­n internatio­nale des fédération­s d'athlétisme n’a pas encore réintégré la Fédération russe d’athlétisme, car elle ne la trouve pas con forme. La commission des athlètes du CIO approuve la réadmissio­n, mais pas celle de l’AMA. Le milieu est divisé.

«Personnell­ement, jamais, jamais, avec tout ce que les Russes ont fait — incluant le labo russe —, je ne pourrai avoir confiance à savoir qu’ils auraient complèteme­nt changé leurs façons de tricher, ajoute-t-elle. Même s’ils ont mis un laboratoir­e dans une université. Il faudrait que ce laboratoir­e soit sous tutelle et même à cela, il y a des limites. Je vais personnell­ement m’assurer, dans les limites de mes capacités d’agir, que personne ne les aide à redevenir les tricheurs qu’ils étaient. »

Selon elle, cette culture de la tricherie est si ancrée en Russie qu’elle ne voit pas comment le pays pourra changer ses façons de faire.

« Là où je doute beaucoup de la volonté des Russes, c’est que tous les athlètes russes qui ont eu des tests positifs à la suite des nouvelles rondes de tests ont poursuivi [la compétitio­n]. Ils ont eu un appui financier, ils ont pu embaucher des experts américains et russes et se sont battus à coups de fausse science et de faussetés contre ces résultats positifs. Le pays les soutient encore ! »

« En ce qui a trait aux échantillo­ns provenant du laboratoir­e russe, ils s’engagent à les rendre disponible­s, à une date indétermin­ée. L’AMA nous dit qu’elle va s’assurer que ce soit fait rapidement. Pour l’autre condition, ils ont refusé d’appuyer les conclusion­s du rapport McLaren, commandé par l’AMA, mais ils ont reconnu les conclusion­s du rapport Schmid, du CIO. C’est bonnet blanc et blanc bonnet: Schmid est arrivé aux mêmes conclusion­s. Ça peut être vu comme un compromis, mais je ne pense pas que ce soit une compromiss­ion. »

M me Ayotte refuse toutefois de blâmer uniquement l’AMA pour cette volte-face.

« Encore une fois, l’AMA suit les règles et les recommanda­tions des comités, mais je pense qu’elle oublie l’émotivité, les sentiments qui font partie de ce dossier, et la façon dont plusieurs athlètes peuvent se sentir floués par le retour des Russes. »

«Je ne pense pas que l’AMA puisse être accusée d’avoir cédé, même si le comité exécutif est composé de la famille olympique. Les six membres du CIO ont tous appuyé cette recommanda­tion et il n’y a eu que deux votes contre : il y a donc des gouverneme­nts qui étaient pour. L’AMA est faite ainsi : il n’y a pas eu de pression, mais le grand cirque du sport était à l’oeuvre. »

Pour sa part, M. Pound s’est dit déçu des réactions négatives contre l’AMA.

« Pourquoi l’AMA, après tout ce qu’elle a fait dans le dossier, tournerait-elle le dos à ses valeurs ? Pourquoi cette décision est-elle reçue comme si c’était la fin du monde ? Les critiques viennent surtout des agences nationales, qui auraient dû comprendre que sans accès aux échantillo­ns, l’AMA ne peut pas intenter une action », a réitéré M. Pound.

« Je crois que lorsque la poussière retombera, tout le monde réalisera que c’était la bonne chose à faire», a-t-il conclu.

Que Rodchenkov se taise

Grigory Rodchenkov, ex-directeur du laboratoir­e de Moscou, est le lanceur d’alerte derrière cette condamnati­on de la Russie. Loin de l’en remercier, Christiane Ayotte estime qu’il est à la source du problème et n’a pas mâché ses mots à son endroit.

« C’est un mécréant. Il l’a toujours été et l’est encore ! Et je me retiens, a-t-elle souligné. Rodchenkov a contribué au problème. Il n’a pas juste suivi : il a été au-devant du problème russe pendant tout ce temps. Il aurait intérêt à se la fermer. Je ne veux plus l’entendre. Il pourrait disparaîtr­e des médias que ça ferait mon affaire. »

Là où je doute beaucoup de la volonté des Russes, c’est que tous les athlètes russes qui ont eu des tests positifs à la suite des nouvelles rondes de tests ont poursuivi [la compétitio­n] CHRISTIANE AYOTTE

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