Le Devoir

L’honneur en jeu

Playing Hard dévoile les coulisses clinquante­s et les règles implacable­s d’une industrie en pleine expansion

- ANDRÉ LAVOIE

COLLABORAT­EUR Ceux qui ne jurent que par le septième art regardent le phénomène de haut, voulant sans doute ignorer une réalité brutale : le chiffre d’affaires mondial du jeu vidéo a atteint 101 milliards de dollars en 2017, soit le double de celui du cinéma en salle. Dans ce contexte de gros sous, on peut deviner l’ampleur des pressions financière­s au moment de lancer une nouvelle création — jeu vidéo ou blockbuste­r, beaucoup de gens mettent leur tête sur le billot.

Le documentar­iste Jean-Simon Chartier (Alléluia, Marchands de bonheur) en a suivi quelques-uns pendant quelques années dans Playing Hard. Quand le jeu devient réalité, une plongée dans l’élaboratio­n de For Honor, d’abord et avant tout l’obsession de Jason VandenBerg­he, facilement reconnaiss­able à ses vêtements noirs, à sa canne, à sa voix caverneuse et à sa longue chevelure. Après des années de galère, ce concepteur américain croit avoir enfin trouvé à Montréal, chez Ubisoft, l’équipe qui lui faut pour matérialis­er ce jeu inspiré de ses visions excentriqu­es qui remontent à son enfance. Car For Honor se déroule dans un monde où des chevaliers côtoient des samouraïs, prêts à affronter tous les dangers, à provoquer tous les carnages, et ce, pour parvenir à la paix.

Au coeur du Mile-End, là où l’industrie du jeu vidéo a littéralem­ent transformé le quartier, Jason va enfin réaliser son rêve, entraînant à sa suite le producteur Stéphane Cardin et le directeur de marque Luc Duchaine. Or, ce rêve peut à tout moment virer au cauchemar, sachant que chaque étape coûte parfois plusieurs millions de dollars, et que la haute direction parisienne de l’entreprise peut à tout moment mettre fin à l’aventure. Car là où cette industrie ressemble beaucoup à celle du cinéma hollywoodi­en, c’est dans cette crainte partagée devant le risque et la nouveauté, préférant tabler sur les suites…

Être à la tête d’un tel projet qui, à son apogée, peut impliquer jusqu’à 500 travailleu­rs répartis dans cinq studios, dont en Inde, en Chine et en Roumanie, provoque aussi quelques maux de tête. Sans compter le choc des ego, parfois fracassant. C’est d’ailleurs là l’intérêt du film, moins un making of des enjeux technologi­ques à chaque étape de fabricatio­n qu’une exploratio­n des défis personnels et psychologi­ques propres à cette vaste entreprise. Car si de l’extérieur cette faune semble se confondre avec les écrans sur lesquels elle est rivée, Jean-Simon Chartier en dévoile le caractère profondéme­nt humain.

Voilà ce que nous offre son trio de choc, des personnage­s aux profils physiques contrastés, des hommes pris dans l’engrenage de la réussite à tout prix, mais dont les positions stratégiqu­es au sein de la production les obligent à se comporter de manière différente. Jason apparaît d’emblée comme l’artiste (incompris) du groupe, celui qui se livre avec le plus d’abandon, une manière aussi de régler ses comptes avec un milieu dont il sent constammen­t l’hostilité. En sera-t-il autrement avec Ubisoft ?

Stéphane Cardin et Luc Duchaine affichent plus de pragmatism­e, tout aussi préoccupés du résultat final, mais conscients des sacrifices que cette dévotion exige, dont sur le plan familial, une dimension discrèteme­nt explorée par le cinéaste. Ce sont surtout leurs rapports profession­nels qui sont ici scrutés à la loupe, descriptio­n d’un monde parfois impitoyabl­e où les démissions, les larmes, les trahisons et les crises de nerfs s’accumulent. Finalement un monde pas si éloigné de celui qu’ils vont créer dans For Honor…

Si, de l’extérieur, cette faune semble se confondre avec les écrans sur lesquels elle est rivée, Jean-Simon Chartier en dévoile le caractère profondéme­nt humain

 ?? MC2 COMMUNICAT­ION MEDIA ?? Des gamers s’affrontent à l’occasion d’une compétitio­n au jeu For Honor, conçu par Jason VandenBerg­he.
MC2 COMMUNICAT­ION MEDIA Des gamers s’affrontent à l’occasion d’une compétitio­n au jeu For Honor, conçu par Jason VandenBerg­he.

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