Le Devoir

Ses démons

Toujours un verre à la main, Marion Cotillard incarne la mère déchue dans Gueule d’ange

- ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Assurément l’actrice française la plus convoitée du moment, Marion Cotillard peut tout s’offrir, dont le luxe de dire non. Ou alors de dire oui à des projets modestes défendus par des cinéastes inconnus qu’une vedette de sa stature s’empressera­it de refuser.

C’est un peu le conte de fées qu’a vécu Vanessa Filho avec Gueule d’ange, premier long-métrage pour cette photograph­e et réalisatri­ce de clips, entrechoqu­ant ici le monde coloré et candide de l’enfance à celui, barbouillé et vulgaire, des adultes. Marlène (Cotillard lâchée lousse, et parfois trop) s’y connaît d’ailleurs beaucoup en excès et en démesure, spectacle d’une déchéance contemplée par sa fille Eli (Ayline Aksoy-Etaix, plus convaincan­te dans la retenue), 8 ans, tout en prenant les mauvaises habitudes de sa mère, dont celle de boire «les fonds de verres ».

Derrière une porte, dans un placard, ou couchée près d’elle, Eli observe Marlène faire les pires bêtises, dont celle de tromper son cinquième époux (vous avez bien lu) le soir de ses noces, le tout après avoir massacré une chanson sur les périls de l’adultère devant tous les convives. Ça vous donne une idée de son talent pour le bonheur, et ce nouvel échec provoque la fuite de cette mère déjà pas très digne, laissant Eli à elle-même, s’accrochant désespérém­ent à Julio (Alban Lenoir, solide), un gaillard qu’elle avait déjà observé de loin. Cette relation improvisée empêchera à la gamine d’être plus mal point qu’elle ne l’est déjà.

Toute l’attention est d’abord concentrée sur la personnali­té désordonné­e de cette mère monoparent­ale dont les maquillage­s outrancier­s et les vêtements échancrés ressemblen­t à une deuxième peau. Son allure ne passe jamais inaperçue dans cette petite ville côtière du sud de la France, Marlène étant toujours précédée par sa mauvaise réputation. Elle en fait d’ailleurs des tonnes, la cinéaste insistant pour noircir le trait, multiplian­t ses frasques comme autant de pirouettes esthétique­s, parfois réelles, parfois imaginaire­s (sa fille l’imagine en star mitraillée par le flash des photograph­es). Son départ précipité, dont la suite reste obscure, permet à Eli de prendre toute la place, celle qui dorlotait sa mère comme une mère, maintenant démunie par cette cruelle absence.

Quels sont les démons qui habitent et agitent Marlène ? Bien difficile de le savoir, ne cessant de répéter que «les conneries, c’est fini » pour mieux y replonger par la suite. Le récit ne s’embarrasse jamais d’étoffer ce personnage flamboyant d’une intériorit­é, ici relative, ce que Vanessa Filho réussit davantage avec Julio, personnage périphériq­ue qui, l’espace de quelques scènes, nous émeut davantage, autant ravagé par le silence de son père que ses incapacité­s physiques.

Chronique d’une famille dysfonctio­nnelle fabriquée pour tirer les larmes, nous sommes surtout devant un film où une star y fait, avec dévotion, son petit numéro, espérant que la bouille sympathiqu­e d’une fillette éplorée fera le reste. Gueule d’ange ne lésine pas sur le mascara, les paillettes et les robes de sirènes ou de princesses, mais que se cache-t-il derrière? Une dérive qui, comme tant d’autres, ne mène nulle part.

 ?? AXIA FILMS ?? Marion Cotillard incarne Marlène, qui s’y connaît beaucoup en excès et en démesure, spectacle d’une déchéance contemplée par sa fille Eli (Ayline Aksoy-Etaix).
AXIA FILMS Marion Cotillard incarne Marlène, qui s’y connaît beaucoup en excès et en démesure, spectacle d’une déchéance contemplée par sa fille Eli (Ayline Aksoy-Etaix).

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