Ses démons
Toujours un verre à la main, Marion Cotillard incarne la mère déchue dans Gueule d’ange
Assurément l’actrice française la plus convoitée du moment, Marion Cotillard peut tout s’offrir, dont le luxe de dire non. Ou alors de dire oui à des projets modestes défendus par des cinéastes inconnus qu’une vedette de sa stature s’empresserait de refuser.
C’est un peu le conte de fées qu’a vécu Vanessa Filho avec Gueule d’ange, premier long-métrage pour cette photographe et réalisatrice de clips, entrechoquant ici le monde coloré et candide de l’enfance à celui, barbouillé et vulgaire, des adultes. Marlène (Cotillard lâchée lousse, et parfois trop) s’y connaît d’ailleurs beaucoup en excès et en démesure, spectacle d’une déchéance contemplée par sa fille Eli (Ayline Aksoy-Etaix, plus convaincante dans la retenue), 8 ans, tout en prenant les mauvaises habitudes de sa mère, dont celle de boire «les fonds de verres ».
Derrière une porte, dans un placard, ou couchée près d’elle, Eli observe Marlène faire les pires bêtises, dont celle de tromper son cinquième époux (vous avez bien lu) le soir de ses noces, le tout après avoir massacré une chanson sur les périls de l’adultère devant tous les convives. Ça vous donne une idée de son talent pour le bonheur, et ce nouvel échec provoque la fuite de cette mère déjà pas très digne, laissant Eli à elle-même, s’accrochant désespérément à Julio (Alban Lenoir, solide), un gaillard qu’elle avait déjà observé de loin. Cette relation improvisée empêchera à la gamine d’être plus mal point qu’elle ne l’est déjà.
Toute l’attention est d’abord concentrée sur la personnalité désordonnée de cette mère monoparentale dont les maquillages outranciers et les vêtements échancrés ressemblent à une deuxième peau. Son allure ne passe jamais inaperçue dans cette petite ville côtière du sud de la France, Marlène étant toujours précédée par sa mauvaise réputation. Elle en fait d’ailleurs des tonnes, la cinéaste insistant pour noircir le trait, multipliant ses frasques comme autant de pirouettes esthétiques, parfois réelles, parfois imaginaires (sa fille l’imagine en star mitraillée par le flash des photographes). Son départ précipité, dont la suite reste obscure, permet à Eli de prendre toute la place, celle qui dorlotait sa mère comme une mère, maintenant démunie par cette cruelle absence.
Quels sont les démons qui habitent et agitent Marlène ? Bien difficile de le savoir, ne cessant de répéter que «les conneries, c’est fini » pour mieux y replonger par la suite. Le récit ne s’embarrasse jamais d’étoffer ce personnage flamboyant d’une intériorité, ici relative, ce que Vanessa Filho réussit davantage avec Julio, personnage périphérique qui, l’espace de quelques scènes, nous émeut davantage, autant ravagé par le silence de son père que ses incapacités physiques.
Chronique d’une famille dysfonctionnelle fabriquée pour tirer les larmes, nous sommes surtout devant un film où une star y fait, avec dévotion, son petit numéro, espérant que la bouille sympathique d’une fillette éplorée fera le reste. Gueule d’ange ne lésine pas sur le mascara, les paillettes et les robes de sirènes ou de princesses, mais que se cache-t-il derrière? Une dérive qui, comme tant d’autres, ne mène nulle part.