Un toit et des chansons pour les Mountain Daisies
Nouvelle maison. C’est le titre du nouvel album de Mountain Daisies. Le deuxième d’Ariane Ouellet et de Carl Prévost, le premier où ils proposent majoritairement leurs propres chansons. Il y a longtemps que ça se bâtit, ce pied-à-terre. Ça doit bien faire une quinzaine d’années que le duo travaille fort, très fort, à s’aménager une place dans le paysage. Au pic, à la pelle, au micro et à la Fender Telecaster.
Difficile d’imaginer fondation plus solide que la leur. Difficile d’imaginer plan de construction plus exigeant: brique par brique, spectacle par spectacle, à leur propre enseigne, mais le plus souvent en tant qu’accompagnateurs. Leur Open Country, spectacle dont ils furent le groupe maison, présenté plusieurs années durant au Verre Bouteille, mais aussi au Festival western de St-Tite, a fidélisé un noyau de fans et scellé des amitiés : quelque 80 chanteuses, chanteurs, musiciennes et musiciens y ont « countryfié » leurs chansons et exaucé des fantasmes d’interprétation de classiques country, de Mara Tremblay à Fred Fortin, d’Amylie à Louis-Jean Cormier, d’Isabelle Boulay à Michel Rivard. « C’était beaucoup d’organisation, un travail de fous, mais on a chéri chaque soirée », affirme Carl.
Les limites de l’Open Country
Dans les spectacles de l’Open Country, nos pâquerettes des montagnes s’offraient ça et là des moments à l’avant-plan, un solo de guitare pour Carl, un solo de violon pour Ariane. Le duo lançait la soirée, Ariane se réservait une ou deux interprétations. Et ils présentaient leurs invités. Mesurez : un spectacle neuf à préparer chaque mois : de quoi aguerrir un duo, mais pas de quoi se faire un nom en dehors du métier et d’un public certes ravi mais restreint. « C’était extraordinaire à vivre, mais une fois le spectacle terminé, ça ne faisait pas nécessairement rayonner notre proposition », commente Carl.
Un album studio transposant l’Open Country, paru en 2013, n’a pas eu l’effet escompté. Qui ça, Mountain Daisies, demandaiton ? « On a fait 1000 chansons avec l’Open Country. On avait accompagné Steve Faulkner, joué dans plein de festivals. Mais pour beaucoup de monde, Mountain Daisies continuait de ne pas avoir de visage », constate Ariane. « Pour la promo, c’est les artistes invités qui étaient demandés, pas nous… »
Sept jours de déblocage en mai
Il a fallu en 2016 un projet fomenté par Éric Goulet, le collectif Sept jours en mai, pour que le tandem ose s’avancer. Sur la photo de pochette, Ariane et Carl posent aux côtés des Goulet, Rivard, Gilles Bélanger, Mara Tremblay, Luc de la Rochellière. Les règles du jeu — chaise musicale des collaborations, temps imparti — obligeaient tout le monde à franchir le pont couvert : texte à écrire ici, musique à composer là, au hasard des piges et des permutations. Trois titres cosignés Mountain Daisies ont été retenus : Un monde sans abeilles, avec Luc. Rêve chéri, avec Mara. Au rythme où vont les choses, avec Michel. Ariane a les yeux grands quand elle évoque ces jours intenses : « Tout un apprentissage ! Le soir, on discutait sans fin, on commentait ce qu’on avait fait, on se donnait des pistes d’écriture, on était tout le temps sur le chantier… »
C’était parti. La nouvelle maison avait une porte d’entrée. Deux chansons inachevées ont abouti sur le nouvel album : l’une avec Bélanger, l’autre avec Rivard. «Ça nous a donné l’élan qu’on avait besoin», sourit Carl. Ariane précise: «On avait besoin d’être validés en tant qu’auteurs et compositeurs. » C’était la première étape. « Il a fallu ensuite qu’on se trouve en tant qu’interprètes, continue-t-elle. C’est qui, Ariane ? J’écoutais les démos, et ma voix changeait chaque fois. Trop habituée de m’adapter à la chanson, au lieu de me l’approprier. Trop caméléon parce que trop longtemps choriste : choriste heureuse, mais choriste dans l’esprit quand même. » Clarté d’intention, enfin. « Je voulais que Carl chante avec moi, qu’on soit ensemble à l’avant-plan, que le son de nous deux devienne identifiable, et on l’a défini en faisant l’album. »
Que ça coule naturellement
Elle a découvert sa voie, sa voix, chemin faisant : un ton très tendre, une délicatesse, une manière de ne pas trop en faire tout en s’affirmant. Quelque chose comme une fenêtre par laquelle passerait un discours intérieur. C’est particulièrement notable et réussi dans Ces mots-là : «Ces mots-là/J’les pense depuis longtemps/Tu m’excuserais si j’ai pas/Cru bon de te les dire avant/Ces mots-là/S’en vont tout simplement/Comme des oiseaux à qui/On a montré à quitter le nid ».
Et s’il y a une reprise de Désemparé, poignante chanson du premier album des 12 hommes rapaillés, ainsi qu’une magnifique et languissante ballade de Catherine Durand (Le temps
est long), on n’oublie jamais que l’album est celui de Carl et d’Ariane. La réalisation d’Éric Goulet, expert évaluateur d’émotions justes, aura ajouté à l’édifice ce qu’il fallait de fenestration : il y a de la lumière, beaucoup de lumière. Le duo existe désormais au grand jour. Comme dans la chanson Oiseau de nuit : « J’ai toujours été un oiseau de nuit/Mais c’est le soleil que je choisis ». Signé Mountain Daisies.
Nouvelle maison
Mountain Daisies, DeVizu