Le Devoir

La convocatio­n papale

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En entrevue au Devoir, le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, archevêque de Québec, se dit plutôt sceptique quant à l’utilité d’un tel exercice. Tous les cas déclarés dans le diocèse de Québec ont déjà abouti dans l’espace public, soutient-il. Mais pourrait-il y en avoir d’autres à Québec comme ailleurs dans la province ? « Ça peut être le cas », convient-il. Le cardinal Lacroix ajoute néanmoins qu’il s’agit d’un phénomène « minime » dans le diocèse de Québec. «On ne parle pas de centaines de cas. »

Jean-Guy Nadeau, professeur à la retraite de l’Institut d’études religieuse­s de l’Université de Montréal et spécialist­e des cas d’abus sexuels dans l’Église catholique, estime qu’un examen exhaustif de tous les cas d’abus serait « essentiel ». L’Église catholique est la seule Église qui conserve un dossier pour chacun des prêtres, explique-t-il. Tout porte à croire que ceux-ci contiendra­ient de précieuses informatio­ns qui permettrai­ent de révéler davantage de contrevena­nts et de victimes.

Les dix-neuf diocèses québécois accepterai­ent-ils d’ouvrir leurs livres ? Le diocèse de Montréal a affirmé au Devoir que l’archevêque Christian Lépine « croit toujours qu’un audit externe effectué pour l’archevêché de Montréal est envisageab­le ». Quant au diocèse de Québec, celui-ci dit être en réflexion. Le cardinal Lacroix assure, pourtant, que l’Église ne cherche aucunement à étouffer le scandale. « Il faut absolument crever cet abcès-là. […] La loi du silence, c’est fini. »

Une Église en crise

Il n’y a aucun doute pour le cardinal Lacroix : l’Église catholique romaine est en crise. « C’est ébranlant. C’est choquant. C’est humiliant», marque-t-il. Une crise de légitimité. Une crise de confiance. Une crise de valeurs. L’Église catholique est en train de vivre un épisode troublant de sa longue histoire. Il ne se passe plus une semaine sans qu’un rapport dévastateu­r vienne assombrir encore davantage le scandale des prêtres pédophiles. Pennsylvan­ie. Australie. Allemagne. Irlande. Pays-Bas. Chili. Partout le même modus operandi. Partout le même système qui a permis à des prêtres abuseurs de faire des dizaines de milliers de victimes. Non seulement la hiérarchie ecclésiast­ique a fermé les yeux sur les crimes commis par des membres de son clergé, elle leur a permis de récidiver. Ailleurs. Plus loin. Puis encore plus loin.

Des prêtres, des évêques, des cardinaux sont tombés. Jusqu’où la chaîne de commandeme­nt savait-elle ? Dans un brûlot, l’ancien nonce aux États-Unis, l’archevêque Carlo Maria Viganò, accuse directemen­t le pape François d’avoir couvert Theodore McCarrick, un cardinal américain soupçonné d’agressions sexuelles.

Près de quatre semaines plus tard, le pape François n’a toujours pas répondu à cette attaque vitrioliqu­e, accompagné­e d’un appel à sa démission. Certains observateu­rs vont jusqu’à évoquer la possibilit­é d’un schisme aux États-Unis. Pendant que le scandale n’en finit plus de finir, le bassin des fidèles s’effrite au pays de l’Oncle Sam et les dons en argent fondent. Les poursuites, qui se règlent à coups de millions de dollars, portent un dur coup financier à nombre de diocèses, dont certains ont été acculés à la faillite.

Une institutio­n réformable ?

Dans un geste sans précédent, le pape François a convoqué, en février prochain au Vatican, une réunion de tous les présidents des conférence­s épiscopale­s du monde pour aborder le thème de « la protection des mineurs ». Depuis des mois, le pape, sous les feux nourris, danse sur un pied puis sur l’autre. Il s’excuse auprès des victimes, mais qualifie certaines accusation­s de « calomnies ». Il dit comprendre leur souffrance, mais tarde à sanctionne­r les fautifs.

Dans les derniers mois, trois membres civils nommés par François en 2014 sur la toute nouvelle Commission pontifical­e pour la protection des mineurs ont claqué la porte. En entrevue au journal Le Parisien le mois dernier, la pédopsychi­atre française Catherine Bonnet, qui fait partie du lot, résumait ainsi son désarroi: «Le pape comprend la souffrance des victimes, mais ne comprend pas que les criminels doivent être arrêtés. »

À l’heure où la crédibilit­é de ses institutio­ns est remise en cause, l’Église catholique est-elle réformable ? C’est un immense bateau, esquisse en forme de

Le débat autour du célibat et du voeu d’abstinence du clergé revient immanquabl­ement dans cet examen de conscience tailladé sur fond d’abus sexuels

réponse Jean-Guy Nadeau. Et celui qui est à la barre de ce paquebot a grandi dans «cette culture» pendant plus d’une soixantain­e d’années, évoque-til. D’autant plus que le mal semble avoir gangrené l’institutio­n jusqu’au coeur. Parmi les neuf cardinaux qui siègent au Conseil des cardinaux (C9), cette institutio­n mise sur pied par François en 2013 pour le conseiller dans sa réforme du Vatican, au moins deux sont visés par des accusation­s de nature sexuelle…

L’abstinence, une paix intérieure ?

Le débat autour du célibat et du voeu d’abstinence du clergé revient immanquabl­ement dans cet examen de conscience tailladé sur fond d’abus sexuels. Mais là n’est pas le problème, tranche avec aplomb le cardinal Lacroix.

« La sexualité est une belle chose, un don de Dieu qui est magnifique », répond-il lorsqu’interrogé sur les besoins sexuels des prêtres. « Toute personne a des besoins sexuels. […] C’est évident. » Cette sexualité doit toutefois être vécue de manière équilibrée et saine, insiste le cardinal Lacroix. « Le voeu de chasteté n’est pas le problème, c’est le coeur de l’être humain qui est malade », explique-t-il. Selon l’archevêque de Québec, la « vaste majorité » des personnes qui ont fait le voeu de chasteté sont « épanouies et heureuses» et accèdent à une forme de « liberté intérieure ».

Le professeur Jean-Guy Nadeau croit également que le célibat n’explique pas à lui seul cette immense dérive. « C’est un facteur contributi­f, mais ce n’est pas un facteur majeur », souligne-t-il. Celui qui agissait l’an dernier comme membre du Centre for Child Protection de l’Université pontifical­e grégorienn­e à Rome montre plutôt du doigt la théologie du sacerdoce. « Les prêtres apprennent qu’ils sont l’alter Christus, c’est-àdire un autre Christ », ce qui leur consacre un sentiment de toute-puissance, fait valoir M. Nadeau. « La théologie a mis le prêtre sur un piédestal, le plus haut possible », dénonce-t-il.

De son côté, le cardinal québécois Marc Ouellet, qui dirige la Congrégati­on pour les évêques au Vatican, propose de laisser une plus grande place aux femmes dans la formation des prêtres. Celles-ci seraient d’utiles alliées « dans le discerneme­nt des candidats et de l’équilibre de leur affectivit­é », at-il suggéré. Le paquebot tangue et avance lentement.

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FILIPPO MONTEFORTE AGENCE FRANCE-PRESSE

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