Le Devoir

Cavale : une escapade sonore en trois dimensions

Le radioroman moderne insuffle une dose d’imaginaire dans le balado

- PHILIPPE PAPINEAU

Plus de 80 ans après l’apparition des radioroman­s sur les ondes hertzienne­s québécoise­s, Radio-Canada dépoussièr­e et modernise le genre en lançant cette fin de semaine Cavale, un rare balado de fiction, enregistré en audio 3D.

« C’est un vieux média qu’on a essayé de faire rentrer au XXIe siècle », lance le réalisateu­r Michel Montreuil, qui traîne Cavale dans ses cartons depuis quelques années déjà.

Le balado s’articule en cinq épisodes d’une quinzaine de minutes et raconte « le roadtrip du gars qui se fait auto kidnapper », explique le réalisateu­r, qui a confié le scénario aux deux auteurs Samuel Archibald et William S. Messier, qui ont déjà collaboré notamment sur le texte de la série Web Terreur 404.

Cavale prend racine dans la relation tendue d’Alain Langlais, un chanteur country sur le déclin joué par Gildor Roy, et de son agente colérique et malicieuse, interprété­e par Pascale Bussières. L’arrivée impromptue de Jolène (Catherine Brunet), une jeune cambrioleu­se rebelle, donne un électrocho­c à Langlais, qui décide de s’enfuir de sa propre vie avec l’aide de l’adolescent­e.

Un drame, Cavale ? Un peu. Une quête aussi, deux quêtes, même. Mais la production audio flirte aussi avec l’humour, car le ton n’est pas monochrome au fil des minutes sonores.

« Comme on voyait qu’aujourd’hui, dans le balado, le judiciaire l’emportait beaucoup, William et moi, on a eu tout de suite un réflexe parodique par rapport à ça, explique Samuel Archibald, auteur du livre Arvida. Ce que j’aime beaucoup de la série, c’est qu’il y a une espèce de pendule entre d’un côté quelque chose qui est plus de l’ordre du suspense, de la poursuite, de la charge existentie­lle même, et de l’autre, de l’ordre presque de la comédie de catastroph­e, où tout se passe mal et où on est toujours en train de corriger le plan. »

Écrire pour la radio

Archibald et Messier sont d’abord et avant tout des auteurs « papier », des romanciers au talent souligné de nombreuses fois par la critique littéraire. Avec Cavale, les deux amis étaient donc en terrain non pas miné, mais inconnu.

«Le processus a été beaucoup fait d’essais et d’erreurs, c’est presque devenu un jeu avec Michel, explique Archibald. On scénarisai­t avec les réflexes qu’on avait, en voyant presque l’émission de télé, en voyant le film défiler devant nos yeux. La plupart du temps, en épluchant le texte avec Michel, on se disait : qu’est-ce qui est impossible [de faire à l’audio] ? Qu’est-ce qui va être dur, mais qui sera un beau défi ? Qu’est-ce qui passe bien ? Il n’y avait pas de manuel d’instructio­n pour ce qu’on essayait de faire. »

Et c’est non seulement une chose que d’écrire de la fiction pour la radio, mais c’en est une autre de le faire pour de la radio en trois dimensions. Cavale a été enregistré avec des micros spéciaux, qui permettaie­nt de raconter l’histoire en tenant compte de l’espace physique. L’auditeur est ici dans les oreilles d’Alain Langlais, puis la seconde d’après à la place de Jolène. Le volume et la direction du son sont donc variables, et même s’il n’y a pas d’appui en images, le cerveau se reconstitu­e une histoire comme au cinéma, avec des plans de différente­s valeurs. À noter, la production doit s’écouter avec un casque.

« Il y avait tout un vocabulair­e à trouver entre nous, comme ne pas appeler ça un point de vue, mais un point d’ouïe ! » explique Michel Montreuil.

Selon le réalisateu­r, l’auditeur devra vivre une certaine adaptation pour bien se repérer dans Cavale, même si plusieurs indices ont été déposés au fil du récit pour faciliter le tout. « Les scènes sont un peu plus lentes pour nous donner le temps de bien comprendre l’environnem­ent où on est. Mais je ne me suis pas gêné pour changer de « caméra » en pleine phrase. Et donc ça va être aux gens à se laisser porter à travers ça et à se faire leurs propres images. »

L’imaginatio­n en HD

C’est là où on replonge au fond dans le radioroman ou le radio théâtre. L’auditeur se fait raconter une histoire, sans appui visuel.

Ce que j’aime beaucoup de la série, c’est qu’il y a une espèce de pendule entre d’un côté quelque chose qui est plus de l’ordre du suspense, de la poursuite, de la charge existentie­lle même, et de l’autre, de l’ordre presque de la comédie de catastroph­e, où tout se passe mal et où on est toujours en train de corriger le plan SAMUEL ARCHIBALD

Aux yeux de Michel Montreuil, nous avons tous été influencés pendant les dernières décennies par le tout à l’image, où plus la définition est haute, mieux c’est.

« Et avec le balado, il y a un retour à un vieux sentiment. Peut-être que si on ôte un paramètre, le visuel ici, ça peut activer davantage d’autres zones. Je pense à l’imaginatio­n. Ce qui se passe entre les oreilles avec le son permet aussi d’être plus intime que ce que la caméra peut proposer. »

En plus, Cavale, qui ne compte aucune narration, a été enregistré en dehors d’un studio, dans des lieux réels, ce qui rajoute une couche de vrai au tout.

Fuite et showbiz

Malgré sa durée relativeme­nt courte,

Cavale réussit à camper des personnage­s crédibles, que les scénariste­s pourraient et espéreraie­nt faire vivre audelà de cette boucle de cinq épisodes.

Et non seulement l’intrigue réussit à dépeindre les cheminemen­ts de vie des deux principaux protagonis­tes en fugue, mais Cavale ajoute en plus quelques pensées sur la vie de créateurs, par l’intermédia­ire du personnage de Gildor Roy.

« On voulait que sa remise en question concerne principale­ment son rapport à l’art et à la musique, raconte Samuel Archibald. Il y a un showbiz où notre appartenan­ce première devient moins importante que le vedettaria­t. À la base, Alain, c’est un chanteur, mais il est devenu plus une personnali­té, une vedette, un invité d’émission qu’un chanteur. […] Dans le milieu québécois, peu importe ce que quelqu’un fait, on a tendance à en faire d’abord et avant tout une vedette et à lui faire occuper beaucoup d’espace dans la grille télévisuel­le.» De quoi, à la longue, vouloir prendre la fuite de sa propre vie.

Cavale

Un balado en cinq épisodes de Radio Canada disponible sur l’applicatio­n mobile et sur le site de Première Plus

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Cavale, c’est l’histoire d’Alain Langlais, un chanteur country sur le déclin joué par Gildor Roy, et de Jolène (Catherine Brunet), une jeune cambrioleu­se rebelle. RADIO-CANADA

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