Le Devoir

Les frères ennemis: la chronique de Michel David

- MICHEL DAVID

François Legault avait une double raison de se féliciter du débat de jeudi soir. Non seulement il a offert une performanc­e qui devrait stopper la dégringola­de de la CAQ, mais le regain d’animosité entre le PQ et Québec solidaire doit le réjouir au plus haut point. De passage au Devoir vendredi matin, Jean-François Lisée n’a exprimé aucune contrition pour sa condescend­ance envers Manon Massé, bien au contraire. Ceux qui pouvaient encore espérer une forme de rapprochem­ent d’ici le 1er octobre pour « barrer la route à la droite » doivent en faire leur deuil. Même après l’élection, la reprise du dialogue s’annonce difficile.

On peut comprendre la frustratio­n de M. Lisée, qui avait beaucoup misé sur une alliance électorale avec QS après avoir été élu chef du PQ. Alors que plusieurs préconisai­ent un recentrage, il a plutôt choisi un déplacemen­t vers la gauche en espérant faciliter une entente avec QS.

Au printemps 2017, il avait dénoncé vigoureuse­ment ce qu’il appelait le « Politburo » de QS, dont l’appellatio­n officielle est le Conseil national de coordinati­on, qui avait effectivem­ent joué un rôle dans le rejet de la « convergenc­e » vers l’indépendan­ce et de la « feuille de route » commune qui avait été négociée entre le PQ, QS, Option nationale et le Bloc québécois, sous les auspices des Organisati­ons unies pour l’indépendan­ce (OUI), présidées par Claude Carbonneau.

S’il est vrai que certains membres du « Politburo » étaient hostiles à une alliance électorale, qui constituai­t un enjeu distinct de la « convergenc­e », la majorité des militants solidaires n’en voulaient pas non plus. Au Congrès de mai 2017, ils ont clairement dit à quel point les positions identitair­es du PQ les horripilai­ent, sans parler de la méfiance que M. Lisée lui-même leur inspirait. La montée de QS a de quoi inquiéter le PQ, mais la façon et le moment que M. Lisée a choisis pour reprendre le procès de ses structures internes — passableme­nt complexes, il est vrai — risquent d’avoir pour effet de consolider le vote solidaire. La très grande majorité des auditeurs de TVA devaient d’ailleurs se demander de quoi il parlait.

Il en a remis vendredi matin lors de sa rencontre avec l’équipe éditoriale du Devoir. Selon lui, en s’efforçant de faire des gains presque exclusivem­ent aux dépens du PQ, qui pourrait former « le gouverneme­nt le plus progressis­te en Amérique du Nord », QS témoigne de son indifféren­ce envers le bien commun.

L’appel au « vote stratégiqu­e » que le chef du PQ a lancé il y a dix jours est d’ailleurs à sens unique. Il invite les électeurs solidaires à appuyer les candidats péquistes là où ils pourraient l’emporter sur la CAQ ou le PLQ, mais il n’est pas question de demander aux électeurs d’appuyer un candidat solidaire qui serait dans la même situation.

Quand un chef de parti se plaint que les faits et gestes d’un adversaire ne sont pas suffisamme­nt scrutés par les médias, c’est qu’il commence à être inquiet. La progressio­n de QS dans les sondages, alors que les intentions du PQ stagnent, fait manifestem­ent craindre à son chef qu’il soit supplanté par QS comme véhicule privilégié du projet souveraini­ste. M. Lisée nie que la démarche vers l’indépendan­ce proposée par QS soit plus expéditive que la sienne, mais il a réitéré qu’« un gouverneme­nt péquiste ne préparera pas la souveraine­té » dans un premier mandat, alors que le programme de QS prévoit d’« enclencher dès son arrivée au pouvoir une démarche d’Assemblée nationale » devant mener à la rédaction de la constituti­on d’un Québec souverain.

On peut douter, comme le fait M. Lisée, qu’une assemblée élue au suffrage universel permette d’arriver à ce résultat, puisqu’elle risque d’être composée d’une majorité de fédéralist­es, mais il demeure que le processus d’accession à la souveraine­té proposé par QS démarrerai­t et pourrait théoriquem­ent être complété dans un premier mandat, alors qu’un gouverneme­nt péquiste attendrait un deuxième mandat.

En cas de défaite du PQ, le chef du PQ n’est pas en mesure de dire s’il proposerai­t simplement de décaler la séquence de quatre ans, ce qui renverrait la tenue du référendum après 2026, ou si toute la démarche serait revue. En supposant que lui-même soit toujours là, bien entendu.

Ces questions peuvent sembler bien ésotérique­s, dans la mesure où les chances qu’un gouverneme­nt péquiste ou solidaire soit élu le 1er octobre sont pratiqueme­nt nulles, mais elles ne manqueront pas d’alimenter les discussion­s au sein de la famille souveraini­ste après l’élection.

Ce n’est sûrement pas François Legault qui va s’en plaindre si la chicane commence dès maintenant. Le dernier sondage Léger, qui donnait son parti à quasiégali­té avec le PLQ , avait de quoi l’inquiéter. La moindre progressio­n du PQ risquait de procurer la victoire aux libéraux. Plus le vote souveraini­ste sera divisé, mieux ce sera pour lui.

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