Le Devoir

Alimentati­on

L’industrie est devenue le premier attrait touristiqu­e de l’État

- ALLISON VAN RASSEL AU VERMONT COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

L’industrie brassicole du Vermont est en plein essor. Les amateurs viennent de partout pour goûter aux bières artisanale­s, notamment celles difficiles à trouver à l’extérieur de la région en raison de leur distributi­on très limitée.

Les bières brassées dans le Green Mountain State se distinguen­t surtout par ses ales sauvages et son IPA (India Pale Ale) aux saveurs de fruits tropicaux. Et celle qui fait le plus saliver ces temps-ci est sans contredit la fameuse North East Indian Pale Ale (NEIPA), une version de l’IPA créée au Vermont.

L’engouement pour les bières du Vermont est tel que les retombées économique­s y dépassent désormais celles du sirop d’érable (320 millions de dollars) et du ski alpin (300 millions) !

«La bière artisanale au Vermont a généré à elle seule 378,2 millions de dollars, dont 126,7 millions directemen­t liés au tourisme », précise Melissa Corbin, directrice du Vermont Brewer’s Associatio­n, qui regroupe 54 des 56 brasseries artisanale­s de l’État. Mme Corbin est fière de dire qu’avec ses 600 000 habitants, le Vermont compte le plus grand nombre de brasseries par tranche de 100 000 habitants (11,7), suivi par le Maine (7,7) et l’Oregon (7,4).

La NEIPA, joyau local

«Le Vermont est une destinatio­n brassicole non pas parce que le choix est grand, mais pour la qualité des bières brassées, renchérit-elle. Puis, il y a une masse de gens qui veulent goûter à la NEIPA. C’est un style de bière qui n’est pas ou très peu distribué hors de l’État, car elle ne reste pas stable très longtemps. Elle est meilleure fraîche. »

Le secret derrière le goût de cette bière repose sur trois facteurs: son apparence non filtrée, son goût fruité et sa levure Conan, maîtresse de la NEIPA. Elle dicte notamment l’apparence brumeuse de la bière, car ses particules demeurent en suspension, laissant derrière elles des arômes de fruits tropicaux comme la mangue et l’ananas. Adulée, la Conan est de plus en plus intégrée dans le brassage de bières dorées, blondes et allemandes de style altbier.

Concierge brassicole

Pour répondre à la demande des amateurs de bières à la recherche de sensations fortes, l’industrie touristiqu­e du Vermont se démène pour proposer des activités. À ce chapitre, un joueur sort du lot: Hotel Vermont à Burlington. Afin de répondre à la demande croissante des touristes assoiffés de découverte­s, l’hôtelier a créé le poste de beer concierge, dont le rôle consiste à diriger les clients de l’hôtel vers les entreprise­s et les produits brassicole­s locaux les plus recherchés.

Matt Canning, passionné de la bière artisanale et superviseu­r des opérations de l’hôtel, occupe ce poste. « Depuis cinq ans, la même question revient encore et encore, raconte-t-il. Où puis-je me procurer la bière Heady Topper? Mon employeur a donc décidé de reconnaîtr­e ce type de tourisme et d’offrir un service qui permet d’accéder facilement aux produits les plus recherchés. »

Pour répondre aux demandes des clients, Matt entretient une relation privilégié­e avec les artisans brassicole­s du Vermont. «La plupart sont des amis, avoue-t-il. Ce sont tous des artisans pour qui j’ai énormément de respect.» Le forfait Summer Beer Exploratio­n a été créé sur mesure pour les aficionado­s qui sont accueillis avec deux cannettes de Heady Topper sur glace.

Après avoir vécu au Colorado et en Californie, ce natif de Burlington est retourné au bercail pour vivre de cette passion, héritée de son père. Son paternel a créé en 1992 ce qui est devenu le plus gros festival de bière artisanale de la côte est américaine, le Vermont Brewers Festival. L’événement est si populaire qu’on ne peut se procurer des billets que par loterie.

Le début de tout

Matt plonge sa clientèle au coeur de l’histoire de la NEIPA, dont la première version a été brassée par Greg Noonan, pionnier de l’ère du brassage moderne et cofondateu­r de l’une des premières brasseries à voir le jour en Nouvelle-Angleterre, le Vermont Pub & Brewery de Burlington. C’est à cet endroit que la levure Conan aurait été inoculée à partir de particules retrouvées naturellem­ent dans l’air.

Au cours des années 1990, Greg Noonan a transmis son savoir-faire à John Kimmich qui, à la suite du décès de Noonan en 2009, a fondé la brasserie The Alchemist à Waterbury. Kimmich a ensuite perfection­né la recette qui a donné naissance à la Heady Topper. Voilà pour l’histoire.

Deux pionniers

Shaun Hill et John Kimmich, tous deux crédités pour avoir défini ce que plusieurs considèren­t comme un tout nouveau style de bière, la North East India Pale Ale, sont les deux premiers brasseurs à l’origine de l’effervesce­nce brassicole dont jouit le Vermont. D’autres considèren­t la recette de la NEIPA comme une déclinaiso­n purement américaine de la IPA, un style originaire de l’Angleterre.

Classée comme la meilleure bière au monde par le site de notation RateBeer, la Heady Topper est sans l’ombre d’un doute la NEIPA la plus prisée du Vermont. Brassée par John Kimmich et son équipe à Stowe, la production et la distributi­on de la Heady Topper sont très limitées. Au sommet de sa gloire en 2015, de nombreuses frustratio­ns liées à l’accessibil­ité ont même poussé des consommate­urs à mettre en place un système d’échange sur le marché noir.

Depuis l’ouverture de la nouvelle usine de production à Stowe en juin 2016, la production de Heady Topper a explosé, passant d’une vingtaine de barils par an à 9000. Le nombre de points de vente a aussi quintuplé, mais aucun n’est situé à plus de 50 kilomètres de l’usine. L’entreprise est soucieuse de la fraîcheur et de la stabilité de son produit.

« Meilleure brasserie au monde »

Puis a suivi l’interpréta­tion du style NEIPA par Shaun Hill, brasseur et propriétai­re de la Hill Farmstead Brewery, installée dans un rang isolé du village de Greensboro dans le nord-est du Vermont. Là-bas, on compte plus de vaches que d’humains et l’accès au réseau cellulaire est inexistant. Pour l’entreprise, l’approvisio­nnement en électricit­é, tout comme la gestion des matières résiduelle­s est un réel défi.

Malgré ces obstacles et la distance qui la sépare des autoroutes et des grands centres urbains, Hill Farmstead Brewery attire grâce à sa bière chaque jour plusieurs milliers de clients, dans un site paradisiaq­ue.

Dans les champs poussent l’orge, le blé et l’unique levure Conan. La proximité de ces ingrédient­s de base, utilisés lors du brassage, explique l’emplacemen­t de la brasserie, fondée sur les terres des ancêtres de Shaun. L’eau de puits utilisée pour produire les bières de Hill Farmstead en fait l’une des plus raffinées et les plus respectées au monde avec ses 22 bières médaillées, dont huit d’or.

En 2013, après seulement trois ans d’activité, Hill Farmstead Brewery fut couronnée «Meilleure brasserie au monde» par les sites de notation de bières RateBeer et Beer Advocate. Un titre qui a valu à l’entreprise l’attention de la planète brassicole et en a fait une destinatio­n prisée des amateurs de houblon.

Très peu de commerces peuvent se vanter d’offrir les bières de Hill Farmstead, dont la distributi­on est limitée et les exclusivit­és réservées à la ferme. Mais à 200kilomèt­res au sud de Greensboro, le restaurant Juniper du Hotel Vermont affiche fièrement les bières de Shaun Hill à son menu. Le résultat d’une relation d’affaires et d’une amitié qui fait la fierté du concierge brassicole Matt Canning.

«Le Vermont n’est pas devenu l’une des destinatio­ns de bière les plus respectées au monde du jour au lendemain, défend Matt Canning. Il a fallu des pionniers et une nouvelle génération d’innovateur­s pour en être là où nous en sommes. Il a fallu expliquer longuement afin que les consommate­urs comprennen­t que l’objectif final n’est pas le résultat économique, mais le respect d’un processus qui importe tout autant que la qualité du produit. » Et les curieux répondent à l’appel.

 ?? ALLISON VAN RASSEL ?? L’engouement pour les bières du Vermont est tel que les retombées économique­s y dépassent désormais celles du sirop d’érable et du ski alpin !
ALLISON VAN RASSEL L’engouement pour les bières du Vermont est tel que les retombées économique­s y dépassent désormais celles du sirop d’érable et du ski alpin !

Newspapers in French

Newspapers from Canada