Le Devoir

Bungalow blues

La tyrannie de la performanc­e vue à travers un couple au bord de la crise de nerfs

- ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Sujet d’une criante actualité, l’épuisement profession­nel constitue un véritable fléau, n’attaquant pas seulement les travailleu­rs, mais tout leur entourage: l’humeur morose et les pertes de revenus ne font rire personne.

Qu’un cinéaste de fiction s’y intéresse n’a rien de surprenant. Qu’il s’agisse de Michel Jetté, voilà une surprise, dans la mesure où il nous avait surtout habitués à des plongées dans des univers glauques et criminels (Hochelaga, Histoire de pen, BumRush), lui qui avait débuté au cinéma avec une oeuvre résolument poétique, Le lac de la lune, peu connue mais d’un charme certain.

Burn out, ou la servitude volontaire se présente comme la dissection d’une descente aux enfers, cauchemar accentué par l’enfilade de décors beiges et impersonne­ls que traversent les personnage­s, particuliè­rement un couple sur qui Jetté focalise toute son attention. Oubliez les motards et les danseuses: Michelle (Jézabel Drolet) travaille dans une banque, et son conjoint Louis (Emmanuel Auger, un habitué du cinéaste) est technicien en télécommun­ications, volant au secours d’entreprise­s aux abois.

Michelle affiche beaucoup plus d’ambition que Louis, rêvant d’atteindre les plus hauts sommets, mais hantée par le départ dramatique de sa collègue qui avait emprunté le même chemin dangereux, étouffée par les dettes, exaspérée par l’apparent détachemen­t de son conjoint. La solution passerait-elle par une auberge en Gaspésie dont Lorraine (France Pilotte), la soeur de Michelle, veut se départir à bon compte?

Si beaucoup de gens reconnaîtr­ont des réalités familières — le taux d’endettemen­t des Canadiens est suffisamme­nt élevé pour cela! —, la démonstrat­ion, elle, ne suscitera ni adhésion ni enthousias­me. Car au-delà de la modestie des moyens déployés pour illustrer cette débâcle psychologi­que, c’est la somme dégoulinan­te d’effets visuels qui étonne. Images au ralenti ou en noir et blanc, fermeture de l’iris, intertitre­s en abondance, cette surcharge suscite beaucoup de lassitude alors qu’elle semblait vouloir épingler la servitude de ces personnage­s.

Ajoutez à cela des images récurrente­s (dont ces nombreux gros plans de viande crue, de poissons et de fruits de mer) au symbolisme appuyé, ainsi que des dialogues redondants, et vous avez là un drame aux enjeux éparpillés entre onirisme et réalisme. Michel Jetté voulait sûrement s’égarer dans de nouveaux sentiers, mais ceux fréquentés par les crapules et les bandits de grand chemin lui réussissai­ent davantage.

Burn out, ou la servitude volontaire ★★

Drame de Michel Jetté. Avec Jézabel Drolet, Emmanuel Auger, Paul Dion, France Pilotte. Québec, 2018,

114 minutes.

 ?? FORBAN FILMS ?? On retrouve un couple de citadins empêtré dans le besoin de surperform­er, la femme ne sachant répondre aux attentes de ses patrons, tandis que son conjoint se retrouve face à des problèmes technologi­ques hors de son contrôle.
FORBAN FILMS On retrouve un couple de citadins empêtré dans le besoin de surperform­er, la femme ne sachant répondre aux attentes de ses patrons, tandis que son conjoint se retrouve face à des problèmes technologi­ques hors de son contrôle.

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