Le bien commun, une question d’imaginaire ?
La commissaire Marie-Josée Jean met en scène les liens entre art et droit chez VOX
Le pouvoir des images est-il un leurre? Plus spécifiquement, les arts visuels par eux-mêmes peuvent-ils vraiment inciter les citoyens à agir politiquement? L’artiste serait-il plutôt relativement impuissant devant la folie de ses contemporains? Et nous ne parlons pas de ces moments d’apparent et superficiel chaos, mais bien plus de ces temps — que les dadaïstes critiquaient judicieusement — où la société veut s’imposer, avec une violence sourde, l’autoritarisme, la pureté et l’exclusion comme valeurs profondes.
La semaine dernière, nous vous parlions de Soulèvements, exposition à l’UQAM, parcours d’oeuvres qui rendent compte de la propagation — entre autres, par l’image — des émotions exaltantes et inspirantes des contestations politiques. Au même moment — signe que notre époque est inquiète —, au moins une autre exposition à Montréal traite des liens entre art et politique. Au centre VOX, cette problématique est cependant posée différemment.
Le pouvoir en jeu dans les images
Il est ici question de montrer comment les artistes tentent de réfléchir aux faiblesses, aux vides et aux excès juridiques de nos sociétés. La commissaire Marie-Josée Jean s’inspire avec intelligence de la pensée de Cornelius Castoriadis (1922-1997), qui prétend qu’«un processus de création continu, producteur de nouvelles significations imaginaires, [est] susceptible de transformer les positions institutionnelles».
Cela peut être le cas avec l’oeuvre Tribunal sur le Congo de Milo Rau, sorte de pièce de théâtre politique, procès fictif, tribunal du peuple où des citoyens viennent témoigner sans avoir peur de la loi. Rau présente l’artiste comme un recréateur de tissu social, comme un défenseur de communautés qui semblent être abandonnées par le droit international et la justice, même au niveau local. L’artiste a tenu un pari incroyable. Il a réussi à réunir un nombre impressionnant de témoins, simples citoyens, mais aussi membres du gouvernement qui, depuis plus de 20 ans, sont les acteurs volontaires ou involontaires de la guerre civile au Congo.
Ce faisant, Rau recrée un dialogue social que la justice aurait eu, seule, du mal à implanter. Grâce au statut — hors-norme? — de l’art, il semblerait
Voici une présentation où les oeuvres sont tout aussi passionnantes intellectuellement que légalement
que des questions politiques complexes puissent être abordées. Journaliste, homme de théâtre, élève du sociologue Pierre Bourdieu, Milo Rau a depuis 2007 développé son International Institute of Political Murder, un type de théâtre et de cinéma documentaires basés sur la reconstitution (reenactment) de moments politiques ou sociaux très lourdement chargés. Cela va de l’oeuvre Les Derniers jours des Ceausescu (2009) à la recréation des émissions de propagande de la Radio-Télévision libre des Mille collines durant le génocide rwandais dans Hate Radio (2011).
Même si nous aurions aimé en savoir plus sur les conditions de possibilité de ce film, sur les tractations qui ont permis sa réalisation, ce Tribunal sur le Congo est une vidéo troublante de 100 minutes, qui permet de mieux comprendre les enjeux économiques, miniers et minés du conflit congolais.
Dans cette exposition, il faut aussi souligner l’intervention de l’artiste John Boyle-Singfield, qui met en scène le droit aux images dans nos sociétés où, finalement, celles-ci ne circulent pas si facilement. En utilisant des séquences trouvées sur Internet, il a recréé le documentaire Baraka (1992) de Ron Fricke, film explorant les cinq continents de la planète. Notre époque de mondialisation ne devrait-elle pas de facilement permettre la réalisation d’un tel projet? À voir le résultat, on comprend que les images de notre Terre sont avant tout la propriété de grandes compagnies qui, comme Getty Images, Corbis Images, Shutterstock ou Videoblocks, en monnayent l’usage. Comme l’écrit Marie-Josée Jean, elles s’approprient ainsi « les droits d’usage d’un patrimoine visuel mondial ».
Et il faudra aussi aller voir cette exposition pour les oeuvres du Collectif Agence, de Carlos Amorales, de Jill Magid et de Carey Young…
Voici une présentation où les oeuvres sont tout aussi passionnantes intellectuellement que légalement. Elles nous montrent que l’image ne doit pas être pensée d’une manière indépendante et autonome, qu’elle est toujours en train de dialoguer avec un contexte social et historique qui est bien plus fort que sa représentation par l’image (ou par le texte). C’est une évidence, mais, malheureusement, elle est contestée de nos jours par le discours dominant et commun, tout comme par le discours spécialisé sur l’art. Voilà un point de vue qu’il faudra méditer et qui sera développé dans les autres volets de cette série d’expositions dont on peut voir ici la première partie.
Nous attendrons la suite avec grande impatience.