Le Devoir

Chronique d’une mort annoncée

Dans Francoeur, Mathieu Blais s’inspire librement d’un spectacula­ire fait divers

- CHRISTIAN DESMEULES COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Il peut arriver que, par amour, par vengeance ou par peur, quelqu’un se retrouve en prison. C’est à la fois tout cela qui a mené «en dedans» le personnage qui est au centre du dernier roman de Mathieu Blais, Francoeur, l’anti-héros d’une «crisse d’histoire d’amour pas possible ».

Une partie de son histoire nous est racontée par le narrateur, un détenu du pénitencie­r de Sainte-Anne-les Bains sur lequel on apprendra peu de choses, sinon qu’il est Noir, se fait appeler Bronco et a une prédilecti­on particuliè­rement sentie pour les métaphores — un effet secondaire, peut-être, de la vie prolongée derrière les barreaux.

Entre le dégoût et le respect qu’il éprouve pour «le chien fou à Francoeur», les envolées lyriques et quelques réflexions sur la réalité carcérale, Bronco nous raconte ce qu’il sait de cet homme sans le moindre passé criminel, un gars de Sorel qui s’est retrouvé en prison du jour au lendemain pour avoir fait sauter par désespoir amoureux le local des Hells Angels.

Ainsi, parce que la tête du héros a été mise à prix par un groupe de motards criminels bien connu, Francoeur est en quelque sorte la «chronique d’une mort annoncée».

Un grand sec, un innocent, un personnage fantasque et inconscien­t «qui se faisait aller la gueule comme un caquiste la veille des élections», Maxime Francoeur connaîtra un séjour en prison qui ne sera pas de tout repos. Il tenait un journal de détention, écrivait des poèmes et de longues lettres à la Rosemarie pour qui il avait tenté l’impossible. «Ce n’était pas un bum, il n’avait pas l’once de l’ombre du souffle d’une méchanceté.»

Et Bronco, qui en était proche sans être son ami, nous raconte avoir «hérité» de la mémoire de Maxime Francoeur. Il essaie, à partir d’anecdotes qu’il lui a fallu entendre mille fois, de raconter au plus près l’homme qu’il a brièvement connu. Il sert sa légende, en admiration sans le dire devant la liberté un peu mystique qui était celle de Francoeur. Libre même entre quatre murs, et même s’il s’agissait d’une liberté nourrie d’un grain de folie. Comme «une petite bête du Bon Dieu».

En guise de point de départ, Mathieu Blais s’inspire ici très librement d’un fait divers qui avait fait les manchettes en 2008: un spectacula­ire attentat au camion-citerne qui avait détruit le bunker des Hells à Sorel, conséquenc­e incontrôlé­e d’un triangle amoureux isocèle. Bronco, qui s’improvise philosophe en résidence, a bien raison : « Le réel est un goon tellement plus imposant que la fiction.»

Au moyen d’une oralité bien sentie, reposant sur une voix narrative plausible malgré ses excès, l’auteur de La liberté des détours et de (Sainte-famille) nous donne ici un autre roman un peu noir qui explore lui aussi le destin incongru d’un criminel de circonstan­ces.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Mathieu Blais nous donne un roman un peu noir qui explore le destin incongru d’un criminel de circonstan­ces.
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Francoeur★★★Mathieu Blais, Leméac, Montréal, 2018, 136 pages

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