Le Devoir

L’emploi : un droit pour tous

Pénurie de main-d’oeuvre ? Il y a pourtant au Québec près de 600 000 travailleu­rs sans emploi. Portrait de la situation avec des organismes en développem­ent de la main-d’oeuvre qui proposent des pistes de solutions en vue des élections.

- MARIE-HÉLÈNE ALARIE

«Aujourd’hui, le marché du travail est extrêmemen­t exigeant: il n’offre pas facilement la pérennité d’emploi, il demande aux travailleu­rs autonomie, souplesse et flexibilit­é, déclare Daniel Baril, président de la Coalition des organismes communauta­ires pour le développem­ent de la main-d’oeuvre (COCDMO). En revanche, on met la barre tellement haut pour les personnes éloignées du marché du travail que le défi de l’inclusion est beaucoup plus dramatique présenteme­nt qu’il pouvait l’être il y a 30 ans. »

Depuis quelques mois, de nombreuses entreprise­s québécoise­s sont aux prises avec une pénurie de maind’oeuvre. Dans plusieurs régions du Québec, le taux de chômage se maintient sous la barre des 5%. Avec plus d’un demi-million d’emplois à pourvoir d’ici 2019, le gouverneme­nt de Philippe Couillard a mis sur pied en mai dernier une Stratégie nationale de la maind’oeuvre comportant 47 mesures et initiative­s soutenues par un budget de 1,3 milliard sur cinq ans. Une bonne partie de cette Stratégie repose sur l’apport des travailleu­rs immigrants.

Le 11 septembre dernier, les représenta­nts des quatre principaux partis se sont rencontrés lors d’un panel sur l’emploi et la formation organisé par les réseaux québécois en employabil­ité et en développem­ent de la main-d’oeuvre. Il y a beaucoup été question de pénurie de main-d’oeuvre. Pour la plupart des politicien­s, la solution est en effet du côté de l’immigratio­n. «L’immigratio­n représente près du quart du remplaceme­nt des postes à pourvoir, affirme Frédéric Lalande, directeur général de la COCDMO. C’est un très gros bassin de main-d’oeuvre, mais on oublie tous les autres. Je pense aux gens des Premières Nations, aux personnes handicapée­s… Des groupes de population qui ont des taux d’emploi qui restent inférieurs la moyenne. Il y a des gains à faire de ce côté-là, mais ça, on n’en parle pas. »

«On est encore loin de propositio­ns spécifique­s, et il manque une réflexion approfondi­e sur le rôle que les organismes communauta­ires peuvent jouer», ajoute le président.

La mission principale de la COCDMO est de combattre l’exclusion sociale et profession­nelle des personnes laissées en marge du marché du travail. Elle vise la pleine reconnaiss­ance du droit au travail et de l’accès à la formation. Pour y parvenir, la Coalition intervient auprès des instances du marché du travail pour faire valoir le potentiel des personnes en démarche d’insertion.

Selon la COCDMO, on compte près de 300 000 personnes au chômage et un peu plus de 300 000 autres vivant de l’aide sociale au Québec. De nombreux organismes communauta­ires soutiennen­t et aident ces personnes en les accompagna­nt et en prenant le temps de les former pour les amener sur le marché du travail. Daniel Baril suggère au prochain gouverneme­nt d’organiser un effort coordonné «pour permettre à une grande partie de ces 600 000 personnes de bénéficier du soutien des organismes communauta­ires et occuper les emplois vacants ».

Des préjugés à faire tomber

Quand vient le temps de parler d’insertion et d’intégratio­n à l’emploi, les personnes éloignées ou très éloignées du marché du travail doivent affronter certains préjugés : « C’est un phénomène qui existe et qui va varier selon les groupes, explique Frédéric Lalande. Par exemple, un employeur potentiel pourra voir dans l’embauche d’une personne handicapée de nombreuses complicati­ons et l’obligation de répondre à des demandes compliquée­s à satisfaire. Mais généraleme­nt, ce qu’on voit sur le terrain, c’est que les entreprise­s qui font affaire avec les organismes communauta­ires se rendent compte que ces gens sont tout à fait désireux de travailler malgré leurs grands défis. »

La Coalition constate par ailleurs une évolution du côté des employeurs depuis deux ou trois ans. «Que ce soit parce que le message commence à passer ou

simplement parce qu’ils ont de réels besoins de maind’oeuvre, il y a manifestem­ent une évolution et une ouverture que je vois de façon positive, affirme M. Lalande. Les employeurs sont prêts à faire plus d’efforts qu’avant pour intégrer ces personnes. À la fin, tout le monde sera gagnant. »

Aujourd’hui, les organismes communauta­ires se consacrent beaucoup à l’accompagne­ment des entreprise­s. Daniel Baril affirme que ces dernières n’ont pas à réinventer la roue: «Depuis plusieurs décennies, les organismes de l’économie sociale possèdent une énorme expertise en accompagne­ment d’entreprise­s. Celles-ci ne sont donc pas seules à tout mettre en place pour accueillir, soutenir et accompagne­r les personnes qui reviennent sur le marché du travail. On a les ressources qu’il faut pour répondre à ce problème, et notre défi est peut-être de mieux nous faire connaître. »

Une polarisati­on du marché du travail

«Les secteurs qui sont en pénurie de main-d’oeuvre nous posent aussi collective­ment la question de la qualité des emplois, nuance Frédéric Lalande. Pourquoi y a-t-il pénurie ? Parce qu’il y a un manque de personnes disponible­s ? Ce n’est pas toujours le cas, on le sait… Souvent, on cherche des employés pour faire un travail pénible, mal payé ou dangereux. »

«On est en train de vivre une profonde polarisati­on du marché du travail, renchérit Daniel Baril. Au Québec, deux personnes sur trois possèdent un diplôme postsecond­aire. Il y a donc une personne sur trois qui a un diplôme secondaire ou moins, et près d’un million de Québécois qui ont des difficulté­s à lire et à écrire.» Cela lui fait dire qu’on est en train de vivre une cassure du marché du travail, «où le tiers des travailleu­rs font face au train de l’économie du savoir qui est en marche et auquel il est très difficile d’accrocher son wagon sans formation de base et sans qualificat­ions profession­nelles ».

 ??  ??
 ?? MAX LAROCHELLE UNSPLASH ?? De nombreuses entreprise­s québécoise­s sont aux prises avec une pénurie de maind’oeuvre depuis plusieurs mois.
MAX LAROCHELLE UNSPLASH De nombreuses entreprise­s québécoise­s sont aux prises avec une pénurie de maind’oeuvre depuis plusieurs mois.

Newspapers in French

Newspapers from Canada