Le gouvernement aura un rôle central à jouer pour assurer le succès du Québec, dit Anglade
La ministre admet que l’État tarde encore à donner l’exemple pour le virage technologique
L’État aura un rôle central à jouer dans les futures chances de succès du Québec en matière de révolution de l’intelligence artificielle, estime sa vice-première ministre et ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Dominique Anglade.
«Je pense que l’on peut et même que l’on doit avoir un haut niveau d’ambition en matière d’intelligence artificielle», a-t-elle déclaré en entretien téléphonique au Devoir quelques jours après le lancement de la campagne électorale. «Le Québec dispose de nombreux avantages qui lui permettent d’être particulièrement bien placé dans certains créneaux, mais le rôle du gouvernement sera essentiel. »
« Ce n’est évidemment pas à l’État d’inventer les technologies ni de créer les entreprises qui les mettent en application, poursuit-elle. Il s’agit plutôt de comprendre la situation afin de pouvoir servir de levier aux bons endroits et aux bons moments. À mon arrivée, il y a trois ans, personne ne parlait d’intelligence artificielle au gouvernement. Personne. »
Le Québec peut compter entre autres sur l’une des plus importantes concentrations de chercheurs en intelligence artificielle dans le monde, constatait au début de l’été le rapport d’un comité d’experts chargé par le gouvernement de dresser un état des lieux et de formuler des recommandations pour le développement d’une nouvelle grappe industrielle dans le secteur. Cette masse de chercheurs s’accompagne d’un écosystème formé d’un nombre grandissant d’étudiants en technologies de l’information, d’entreprises en démarrage, d’investisseurs et d’organismes assurant le lien entre tous ces acteurs. C’est cet écosystème qui a entre autres convaincu des géants, comme Microsoft et Thales, de venir établir des centres de recherche dans le domaine au Québec.
Mais tout cela est bien fragile, a constaté le comité d’experts. Il faudrait plus d’argent, notamment pour financer la croissance des nouvelles entreprises. Les transferts technologiques se font mal vers les PME, et les grandes entreprises qui ne sont pas du secteur ont encore du mal à voir comment l’intelligence artificielle pourrait leur être utile à court terme. Mais peut-être plus préoccupant encore, on a de la difficulté, à l’exception des plus gros joueurs, à trouver la main-d’oeuvre compétente nécessaire. Et tout cela pourrait rapidement tourner encore plus mal si d’aventure un géant du domaine s’avisait d’offrir un pont d’or aux travailleurs d’ici pour s’installer ailleurs.
La chasse aux talents
« Le talent, c’est le nerf de la guerre», confirme Dominique Anglade. Pour gagner cette chasse aux cerveaux, le gouvernement doit ainsi inciter plus de jeunes à étudier dans le secteur des sciences et des technologies, attirer plus de chercheurs et de travailleurs compétents étrangers et s’assurer de leur intégration efficace et rapide dans l’économie.
Le Québec n’est pas le seul dans la course. Les États-Unis, la Chine ainsi que de nombreux pays d’Europe et d’Asie ont tous des ambitions en matière d’intelligence artificielle qui sont appuyées par des ressources financières et humaines parfois étourdissantes.
Mais Dominique Anglade ne se laisse pas décourager. Son gouvernement a annoncé l’an dernier un premier 100 millions sur cinq ans dans le secteur et a doublé la mise cette année. Et «il n’y a pas que l’argent, dit-elle. On parle beaucoup de la Chine, mais il faut du temps pour atteindre le niveau de développement requis ici. Quant aux États-Unis, leurs frontières sont actuellement fermées à certaines nationalités, l’environnement de vie y est passablement plus difficile qu’au Québec ».
L’intelligence artificielle à visage humain
Le Québec a aussi une autre carte dans sa manche, poursuit la ministre: son expertise en développement à visage humain incarné notamment par son vaste secteur de l’économie sociale. «Ce n’est pas tout de développer de nouvelles technologies. Encore faut-il qu’on puisse les appliquer dans la société et, pour cela, qu’elles soient acceptées par la population. C’est une condition fondamentale de succès. L’intelligence artificielle et les robots vont naturellement soulever toutes sortes de craintes chez les gens, à propos de la protection de la vie privée ou de l’avenir de leurs emplois. Celui qui saura développer des applications technologiques éthiques qui prennent en compte ces inquiétudes et évitent les dérives aura la faveur du public.»
Et puis, l’intelligence artificielle n’est pas seulement une occasion de développement économique, note Dominique Anglade. « Elle peut aussi être un outil de développement social.» Elle évoque la perspective de systèmes capables de diagnostiquer rapidement et à moindres coûts certaines maladies, ou encore des robots à même d’assurer une présence réconfortante auprès de personnes âgées.
Le secteur québécois de l’intelligence artificielle voudrait pouvoir servir d’inspiration au monde en matière d’éthique. Il a lancé l’an dernier un grand exercice de réflexion et de consultation sur ces enjeux ouvert à tous qui doit conduire à l’adoption, l’an prochain, d’une «Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle ». Inspirée de la Déclaration universelle des droits de l’homme, cette déclaration proposera un cadre éthique pour les chercheurs et les entrepreneurs.
Prêcher par l’exemple
L’un des rôles de l’État devrait d’ailleurs être de prêcher par l’exemple en cherchant à intégrer à son fonctionnement les avancées de l’intelligence artificielle, estime la ministre. Mais lorsqu’on lui demande le degré d’avancement du gouvernement du Québec sur ce front, elle ne parvient pas à réprimer un rire. «Comme je disais tout à l’heure, personne ne parlait d’intelligence artificielle il y a encore trois ans au gouvernement. Alors, on n’est pas rendus très loin en ce domaine. »
L’une des initiatives dont Dominique Anglade se dit «la plus fière» comme ministre est d’avoir créé ce printemps un bureau de l’innovation en santé et en services sociaux. Relavant du ministère de la Santé, mais financé par son propre ministère, ce bureau a pour mission de chercher dans les technologies développées au Québec des outils susceptibles d’aider à offrir de meilleurs services dans le domaine. «C’est rare qu’on voie des ministères adopter une approche mixte comme celle-là. Le but est d’améliorer l’État de l’intérieur, et l’un des meilleurs endroits où les nouvelles technologies peuvent nous aider à le faire est probablement en santé. »
Les choses se présentent donc plutôt bien pour le Québec, conclut-elle. « Mais, comme je dis chaque fois, le principal danger est de tomber dans la complaisance. »
« Ce n’est pas tout de développer de nouvelles technologies. Encore faut-il qu’on puisse les appliquer dans la société et, pour cela, qu’elles soient acceptées par la population. »