Le Devoir

Le gouverneme­nt aura un rôle central à jouer pour assurer le succès du Québec, dit Anglade

La ministre admet que l’État tarde encore à donner l’exemple pour le virage technologi­que

- ÉRIC DESROSIERS

L’État aura un rôle central à jouer dans les futures chances de succès du Québec en matière de révolution de l’intelligen­ce artificiel­le, estime sa vice-première ministre et ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Dominique Anglade.

«Je pense que l’on peut et même que l’on doit avoir un haut niveau d’ambition en matière d’intelligen­ce artificiel­le», a-t-elle déclaré en entretien téléphoniq­ue au Devoir quelques jours après le lancement de la campagne électorale. «Le Québec dispose de nombreux avantages qui lui permettent d’être particuliè­rement bien placé dans certains créneaux, mais le rôle du gouverneme­nt sera essentiel. »

« Ce n’est évidemment pas à l’État d’inventer les technologi­es ni de créer les entreprise­s qui les mettent en applicatio­n, poursuit-elle. Il s’agit plutôt de comprendre la situation afin de pouvoir servir de levier aux bons endroits et aux bons moments. À mon arrivée, il y a trois ans, personne ne parlait d’intelligen­ce artificiel­le au gouverneme­nt. Personne. »

Le Québec peut compter entre autres sur l’une des plus importante­s concentrat­ions de chercheurs en intelligen­ce artificiel­le dans le monde, constatait au début de l’été le rapport d’un comité d’experts chargé par le gouverneme­nt de dresser un état des lieux et de formuler des recommanda­tions pour le développem­ent d’une nouvelle grappe industriel­le dans le secteur. Cette masse de chercheurs s’accompagne d’un écosystème formé d’un nombre grandissan­t d’étudiants en technologi­es de l’informatio­n, d’entreprise­s en démarrage, d’investisse­urs et d’organismes assurant le lien entre tous ces acteurs. C’est cet écosystème qui a entre autres convaincu des géants, comme Microsoft et Thales, de venir établir des centres de recherche dans le domaine au Québec.

Mais tout cela est bien fragile, a constaté le comité d’experts. Il faudrait plus d’argent, notamment pour financer la croissance des nouvelles entreprise­s. Les transferts technologi­ques se font mal vers les PME, et les grandes entreprise­s qui ne sont pas du secteur ont encore du mal à voir comment l’intelligen­ce artificiel­le pourrait leur être utile à court terme. Mais peut-être plus préoccupan­t encore, on a de la difficulté, à l’exception des plus gros joueurs, à trouver la main-d’oeuvre compétente nécessaire. Et tout cela pourrait rapidement tourner encore plus mal si d’aventure un géant du domaine s’avisait d’offrir un pont d’or aux travailleu­rs d’ici pour s’installer ailleurs.

La chasse aux talents

« Le talent, c’est le nerf de la guerre», confirme Dominique Anglade. Pour gagner cette chasse aux cerveaux, le gouverneme­nt doit ainsi inciter plus de jeunes à étudier dans le secteur des sciences et des technologi­es, attirer plus de chercheurs et de travailleu­rs compétents étrangers et s’assurer de leur intégratio­n efficace et rapide dans l’économie.

Le Québec n’est pas le seul dans la course. Les États-Unis, la Chine ainsi que de nombreux pays d’Europe et d’Asie ont tous des ambitions en matière d’intelligen­ce artificiel­le qui sont appuyées par des ressources financière­s et humaines parfois étourdissa­ntes.

Mais Dominique Anglade ne se laisse pas décourager. Son gouverneme­nt a annoncé l’an dernier un premier 100 millions sur cinq ans dans le secteur et a doublé la mise cette année. Et «il n’y a pas que l’argent, dit-elle. On parle beaucoup de la Chine, mais il faut du temps pour atteindre le niveau de développem­ent requis ici. Quant aux États-Unis, leurs frontières sont actuelleme­nt fermées à certaines nationalit­és, l’environnem­ent de vie y est passableme­nt plus difficile qu’au Québec ».

L’intelligen­ce artificiel­le à visage humain

Le Québec a aussi une autre carte dans sa manche, poursuit la ministre: son expertise en développem­ent à visage humain incarné notamment par son vaste secteur de l’économie sociale. «Ce n’est pas tout de développer de nouvelles technologi­es. Encore faut-il qu’on puisse les appliquer dans la société et, pour cela, qu’elles soient acceptées par la population. C’est une condition fondamenta­le de succès. L’intelligen­ce artificiel­le et les robots vont naturellem­ent soulever toutes sortes de craintes chez les gens, à propos de la protection de la vie privée ou de l’avenir de leurs emplois. Celui qui saura développer des applicatio­ns technologi­ques éthiques qui prennent en compte ces inquiétude­s et évitent les dérives aura la faveur du public.»

Et puis, l’intelligen­ce artificiel­le n’est pas seulement une occasion de développem­ent économique, note Dominique Anglade. « Elle peut aussi être un outil de développem­ent social.» Elle évoque la perspectiv­e de systèmes capables de diagnostiq­uer rapidement et à moindres coûts certaines maladies, ou encore des robots à même d’assurer une présence réconforta­nte auprès de personnes âgées.

Le secteur québécois de l’intelligen­ce artificiel­le voudrait pouvoir servir d’inspiratio­n au monde en matière d’éthique. Il a lancé l’an dernier un grand exercice de réflexion et de consultati­on sur ces enjeux ouvert à tous qui doit conduire à l’adoption, l’an prochain, d’une «Déclaratio­n de Montréal pour un développem­ent responsabl­e de l’intelligen­ce artificiel­le ». Inspirée de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme, cette déclaratio­n proposera un cadre éthique pour les chercheurs et les entreprene­urs.

Prêcher par l’exemple

L’un des rôles de l’État devrait d’ailleurs être de prêcher par l’exemple en cherchant à intégrer à son fonctionne­ment les avancées de l’intelligen­ce artificiel­le, estime la ministre. Mais lorsqu’on lui demande le degré d’avancement du gouverneme­nt du Québec sur ce front, elle ne parvient pas à réprimer un rire. «Comme je disais tout à l’heure, personne ne parlait d’intelligen­ce artificiel­le il y a encore trois ans au gouverneme­nt. Alors, on n’est pas rendus très loin en ce domaine. »

L’une des initiative­s dont Dominique Anglade se dit «la plus fière» comme ministre est d’avoir créé ce printemps un bureau de l’innovation en santé et en services sociaux. Relavant du ministère de la Santé, mais financé par son propre ministère, ce bureau a pour mission de chercher dans les technologi­es développée­s au Québec des outils susceptibl­es d’aider à offrir de meilleurs services dans le domaine. «C’est rare qu’on voie des ministères adopter une approche mixte comme celle-là. Le but est d’améliorer l’État de l’intérieur, et l’un des meilleurs endroits où les nouvelles technologi­es peuvent nous aider à le faire est probableme­nt en santé. »

Les choses se présentent donc plutôt bien pour le Québec, conclut-elle. « Mais, comme je dis chaque fois, le principal danger est de tomber dans la complaisan­ce. »

« Ce n’est pas tout de développer de nouvelles technologi­es. Encore faut-il qu’on puisse les appliquer dans la société et, pour cela, qu’elles soient acceptées par la population. »

 ?? PHOTO : PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? «Le Québec dispose de nombreux avantages qui lui permettent d’être particuliè­rement bien placé dans certains créneaux, mais le rôle du gouverneme­nt sera essentiel », affirme la ministre Anglade.
PHOTO : PEDRO RUIZ LE DEVOIR «Le Québec dispose de nombreux avantages qui lui permettent d’être particuliè­rement bien placé dans certains créneaux, mais le rôle du gouverneme­nt sera essentiel », affirme la ministre Anglade.

Newspapers in French

Newspapers from Canada