Le Devoir

Main-d’oeuvre : haro sur une pénurie d’arguments

- François Leduc

L’économiste Gérard Bélanger de l‘Université Laval publiait dans Le

Soleil du 13 mars 2017 une réflexion sur le faible pouvoir d’attraction des villes de Québec et de Montréal quant au reste du Canada pour expliquer qu’un taux de chômage faible tend à signifier qu’il y a peu d’emplois rémunérate­urs à Québec, tandis que Montréal se fait damer le pion par Ottawa et Toronto au même chapitre.

Le 26 juillet dernier, l’Institut économique de Montréal y allait aussi de statistiqu­es intéressan­tes pour illustrer à nouveau le pouvoir d’attraction anémique de Montréal et de Québec pour les jeunes en soulignant la perte de 230 000 personnes de moins de 35 ans de 1981 à 2017.

Pendant ce temps, dans ma pratique profession­nelle d’avocat spécialisé en droit de l’emploi dans l’intérêt des employés, je constate depuis quelques années et encore très récemment que les emplois occupés par de hauts salariés (entre 100 000 $ et 160 000 $ par année) sont purement et simplement abolis malgré le « plein emploi » et la « pénurie de main-d’oeuvre » allégués, mots d’ordre dont les chambres de commerce et le Conseil du patronat nous abreuvent chaque semaine.

Je constate également que des profession­nels d’expérience dans des secteurs dynamiques gagnant 140 000 $ par année sont brutalemen­t évincés par un candidat externe prêt à travailler à 90 000 $ par année pour se faire les dents. Paradoxale­ment, ces réorganisa­tions au rabais dans les grandes entreprise­s sont même copiées par des organismes publics de promotion économique subvention­nés à 100 % par l’État. Il s’agit d’un exemple éloquent où les bottines peinent à suivre les babines.

Autre facteur visant à relativise­r les cassandres de la « pénurie de main-d’oeuvre»: les clauses de non-concurrenc­e d’une durée de un à deux ans imposées par les employeurs et qui visent à empêcher la mobilité des profession­nels et des scientifiq­ues en les privant de leur liberté de travailler une fois sans emploi. La Californie, cet étalon du progrès technologi­que et de la créativité, a interdit les clauses de non-concurrenc­e dans les contrats d’emploi pour lutter précisémen­t contre la pénurie de main-d’oeuvre.

Étudiants universita­ires

Dans ma pratique, j’ai même constaté que des employeurs avides de main-d’oeuvre à bon marché exigeaient de telles clauses de nonconcurr­ence à des… étudiants universita­ires en stage de formation sous-rémunérés. Le gouverneme­nt libéral, par sa réforme ratée de la Loi sur les normes du travail, a manqué une belle occasion d’écouter les critiques qui suggéraien­t d’interdire de telles clauses qui accentuent la pénurie de main-d’oeuvre.

C’est aussi sans compter sur les résistance­s profondes des entreprise­s constatées par le sondage récent de la Banque de développem­ent du Canada envers l’embauche de personnes issues de l’immigratio­n (5 septembre 2018). Dans ma pratique, j’ai souvent observé des travailleu­rs immigrants condamnés à rentrer dans leur pays, trompés par la fausse représenta­tion d’employeurs sans scrupule qui les congédiaie­nt peu de temps après leur embauche. Cela laisse des traces à l’étranger.

Malgré les 15 ans de pouvoir du Parti libéral de Philippe Couillard, ce gouverneme­nt aura été incapable d’anticiper ce phénomène et de contenir cet exode des talents, incompéten­t en la matière, se désolant en pleine campagne électorale d’observer la fermeture partielle d’un Subway ou d’un McDo à Val-d’Or.

Il ne faut pourtant pas se surprendre à savoir que travailler au salaire minimum à raison de dix heures par semaine non garanties avec des horaires variables soit peu alléchant pour quiconque, toutes origines confondues. Évidemment, le gouverneme­nt Couillard aura plutôt préféré soutenir la dictature des médecins et leur corporatis­me détestable au lieu d’investir dans la formation et dans la productivi­té des entreprise­s.

Et je passe presque sous silence ce sabotage du développem­ent internatio­nal alors que nos politiques délétères de recrutemen­t d’étudiants étrangers pillent les cerveaux des pays démunis venus apprendre au Québec pour mieux outiller leur pays.

En définitive, ce faux enjeu de la pénurie de la main-d’oeuvre vise à occulter le véritable objectif poursuivi par le gouverneme­nt libéral : faciliter la création d’un bassin de main-d’oeuvre à bon marché pour mieux s’ajuster à la concurrenc­e de ces « modèles » de développem­ent économique et démocratiq­ue que sont devenus la Chine et ses satellites dociles. Pour paraphrase­r l’adage : si le taux de chômage est bas au Québec, c’est parce qu’il n’y a pas d’ouvrage.

Le reste, vous l’aurez compris, ne sert qu’à agiter l’épouvantai­l électorali­ste de l’instabilit­é comme sait si bien le faire Trump pour se rendre indispensa­ble.

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