Le Devoir

Le patrimoine, parent pauvre de l’action gouverneme­ntale

- Carole Deniger Dinu Bumbaru

En pleine campagne électorale, le patrimoine sert de décor pour les discours, mais il est plutôt absent des engagement­s des partis.

Ce patrimoine bâti et paysager est une richesse collective qui nous distingue. C’est un actif pour le développem­ent économique, social et culturel du Québec, de ses régions et de ses communauté­s, actif qui contribue fortement à l’attractivi­té du territoire.

Il reste pourtant fortement négligé et grevé d’une habitude de gestes à la pièce, sans vue d’ensemble. Même si le Québec ne publie pas d’état annuel de son patrimoine, de nombreux cas illustrent cette situation. Par exemple, à Montréal, la destructio­n du site archéologi­que du village des Tanneries dans Saint-Henri par le ministère des Transports, l’avenir incertain de l’Hôtel-Dieu ainsi que l’annonce du ministre de l’Éducation d’un projet de constructi­on dans le jardin de la maison mère des Soeurs grises nonobstant son statut de site patrimonia­l protégé.

Les importants défis actuels commandent une action éclairée, coordonnée et dotée des moyens et de mécanismes de suivi conséquent­s. Il ne s’agit pas de mettre quelques sites sous verre. Pour le gouverneme­nt, voilà autant d’occasions à saisir pour faire preuve d’innovation, d’engagement et de collaborat­ion avec la société autant qu’avec les municipali­tés.

Or, le patrimoine reste un parent pauvre de l’action gouverneme­ntale, que ce soit dans le dernier budget ou dans la politique culturelle dévoilée en juin 2018, celle-ci n’appliquant qu’une fraction des recommanda­tions du rapport Courchesne-Corbo. Même la reconnaiss­ance de sa protection comme principe de la loi québécoise du développem­ent durable reste largement ignorée et sans effet tangible sur l’action du gouverneme­nt.

On en parle bien lorsqu’il y a une menace ponctuelle à laquelle les responsabl­es répondent par un geste in extremis ou en s’attristant de n’avoir pu agir à temps, promettant de faire mieux la prochaine fois. Mais, le grave manque d’entretien ou la désaffecta­tion massive de nos bâtiments religieux ou institutio­nnels, la perte d’expertise ou encore l’insensibil­ité de la fiscalité et des investisse­ments publics au patrimoine architectu­ral et paysager ne pourront être résolus à la pièce.

Convaincu que l’on peut faire beaucoup mieux, Héritage Montréal rappelle aux futurs élus de l’Assemblée nationale et au prochain gouverneme­nt du Québec les devoirs suivants :

Cohérence

Le gouverneme­nt doit se doter d’une politique propre au patrimoine et aux paysages en lien avec des politiques nationales d’aménagemen­t du territoire et d’architectu­re. Il faudra l’accompagne­r de ressources et de mécanismes crédibles de suivi et de concertati­on avec la société civile comme avec les municipali­tés et instances régionales pour en assurer le succès ; par exemple, la création d’un poste de commissair­e qui fasse rapport de l’impact des investisse­ments et des programmes sur l’état du patrimoine et sa viabilité.

Exemplarit­é

Le gouverneme­nt doit établir un devoir d’exemplarit­é parmi ses ministères, organismes et sociétés d’État, ainsi que dans son budget. Dans le cas d’ensembles complexes en réaffectat­ion comme l’Hôtel-Dieu ou l’hôpital Royal Victoria sur le mont Royal, cela comprend des processus de consultati­on et de concertati­on en amont avec la société civile pour trouver des pistes de solution pertinente­s et rassembleu­ses. Il faut résoudre les cas d’écoles patrimonia­les dégradées ou d’ensembles hospitalie­rs désaffecté­s. Expertise Le gouverneme­nt doit reconnaîtr­e, valoriser et soutenir la formation et le développem­ent de l’expertise en patrimoine — l’expertise profession­nelle, les savoir-faire traditionn­els, les connaissan­ces citoyennes et la recherche scientifiq­ue — dans l’ensemble de son appareil, de son action et de ses projets, y compris en l’incluant, tout comme le talent, aux processus d’appel d’offres engageant les fonds publics. Soutien Le gouverneme­nt doit aller de l’avant avec ses promesses de longue date et mettre enfin en place une fiscalité et des mesures incitative­s pour l’entretien et la mise en valeur du patrimoine bâti et paysager, en accordant aux propriétai­res privés ou communauta­ires des crédits d’impôt ou d’autres mesures de soutien financier. La valeur économique de tels investisse­ments doit être reconnue et appréciée dans ses retombées multiples, économique­s, touristiqu­es comme sociales ou environnem­entales.

Métropole

Le gouverneme­nt doit reconnaîtr­e l’échelle métropolit­aine montréalai­se dont les paysages bâtis, fluviaux ou ruraux, issus d’une géographie et d’une histoire exceptionn­elles, donnent au territoire une très forte identité, et y soutenir la planificat­ion concertée. En 2012, cette concertati­on et une forte mobilisati­on a permis l’adoption par les élus de la Communauté métropolit­aine de Montréal (CMM) d’un premier Plan métropolit­ain d’aménagemen­t et de développem­ent pour lequel on définit actuelleme­nt les éléments d’un plan d’action propre aux enjeux de protection et de mise en valeur du patrimoine bâti et paysager. Le gouverneme­nt doit soutenir ces efforts pour doter la métropole de programmes, de projets pilotes, de projets transitoir­es et d’outils, notamment fiscaux.

Héritage Montréal attendra du futur gouverneme­nt comme de l’ensemble des élus de l’Assemblée nationale, et particuliè­rement ceux de la région de Montréal, un coup de barre majeur pour donner au patrimoine bâti et paysager l’attention qu’il mérite. Le temps où on s’y intéressai­t pour agrémenter de belles images, des documents autrement sans inspiratio­n est révolu.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR L’avenir de l’Hôtel-Dieu de Montréal est incertain.

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