Le Devoir

La pilule abortive est peu prescrite au Québec

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT LE DEVOIR

Une médecin et chercheuse affirme que le Québec continue à accuser du retard en matière d’utilisatio­n de la pilule abortive par rapport à d’autres provinces. Reste que cette option se démocratis­e, et ce, même dans des communauté­s du Nord du Québec, où elle est accessible depuis peu.

Lors d’une conférence dans le cadre d’un événement de la Société des obstétrici­ens et gynécologu­es du Canada (SOGC), lundi, la Dre Édith Guilbert a avancé que c’était en raison de « barrières réglementa­ires non basées sur les données probantes» que l’implantati­on de l’avortement médical par la pilule abortive Mifegymiso n’était pas « optimale ». Au contraire de l’Ontario et de la Colom- bie-Britanniqu­e, où c’est « une réussite ».

« Il y a un écart entre ce qui se passe au Québec et au Canada», a-t-elle aussi dit en entrevue avec Le Devoir, après sa présentati­on. Elle est chercheuse au sein du Groupe de recherche sur l’avortement et la contracept­ion et professeur­e au Départemen­t d’obstétriqu­e, de gynécologi­e et de reproducti­on de l’Université Laval.

Le Québec compte pour près de 23 % de la population canadienne. Pourtant, selon les données recueillie­s par le Dr Guilbert directemen­t du fournisseu­r, seulement 5 % des doses de Mifegymiso vendues au Canada l’ont été au Québec depuis que le produit est disponible, soit 1305 doses en date du 30 juillet 2018.

De plus, seulement 12 % des médecins ayant suivi la formation en ligne de la SOGC sur le sujet sont québécois : il y en a 124. Ce n’est pas parce qu’ils ont suivi la formation qu’ils prescriven­t nécessaire le médicament. Une seule infirmière praticienn­e spécialisé­e (IPS) et une seule sage-femme du Québec ont suivi la formation, contre plus de 280 IPS à travers le Canada.

Des médecins québécois interrogés par les chercheurs du groupe de recherche ont confié leur malaise. « Ça a l’air bien compliqué […], a commenté l’un. Je ne comprends pas très bien pourquoi ce n’est pas déjà accessible ». « On dirait qu’on l’a, mais qu’on ne s’en sert pas », a ajouté un autre, selon les propos rapportés lors de la présentati­on de lundi, qui n’était pas ouverte au public ou aux journalist­es. Le Devoir a pu consulter le document présenté.

Pour la Dre Guilbert, il est clair qu’il y a un « décalage important » du Québec. Elle remet en question les exigences du Collège des médecins du Québec (CMQ), qui demandent aux médecins qui ne pratiquent pas déjà en clinique de planificat­ion familiale de suivre un stage dans l’une de ces cliniques avant de prescrire la pilule abortive. « Il y a aussi d’autres difficulté­s, comme l’accès à l’échographi­e et aux corridors de service », indique la Dre Guilbert.

Démocratis­ation graduelle

Le Collège des médecins ignore combien de médecins prescriven­t la pilule abortive au Québec.

Le secrétaire du CMQ, le Dr Yves Robert, a indiqué au Devoir qu’entre 20 et 30 médecins ont demandé à suivre un stage pour pouvoir intégrer cet acte à leur pratique. Selon les objectifs visés et l’expérience du médecin, ce stage est de durée variable, d’une à « quelques » journées.

Pour le CMQ, il est « trop tôt » pour conclure que le Québec accuse du retard. « Il faut comprendre que cette option est récente ; elle s’installe graduellem­ent et de plus en plus de médecins vont l’offrir », estime le Dr Robert. Il croit que d’ici février 2019, la quarantain­e de cliniques d’avortement du Québec devrait l’avoir intégrée. « Il est prématuré de faire des comparaiso­ns alors que le déploiemen­t n’a pas été complété », dit-il. La pilule abortive est gratuite, et elle est réellement sur le marché depuis mars dernier. Elle perpuisqu’il met d’interrompr­e une grossesse de 49 jours ou moins.

À quelques exceptions près, presque toutes les cliniques d’avortement au Québec offrent maintenant cette option, selon le Dr Jean Guimond, médecin au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Îlede-Montréal. Il a formé plusieurs de ses confrères qui prescriven­t maintenant la pilule abortive. Il confirme que cette option est désormais accessible jusque dans les communauté­s nordiques de Kuujjuaq et de Puvirnituq.

À sa connaissan­ce, très peu de médecins pratiquant en dehors des cliniques de planificat­ion familiale actuelles prescriven­t la pilule abortive. La disponibil­ité des appareils d’échographi­e comme l’expertise sont notamment en cause. Il croit que la pratique va se démocratis­er avec le temps. « Il faut par ailleurs s’assurer de la pérennité de toutes les cliniques d’avortement au Québec, souligne-t-il. Nous sommes l’un des endroits les plus avancés dans le monde pour l’accessibil­ité ; il ne faut pas perdre ça ».

Selon son expérience, environ 10 % des femmes qui souhaitent un avortement choisissen­t la méthode médicale plutôt que chirurgica­le, une proportion qui, croit-il, pourrait augmenter avec le temps. Les femmes qui choisissen­t cette option sont très satisfaite­s de leur choix, observe-t-il.

À la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), la coordonnat­rice Cindy Pétrieux observe que les femmes elles-mêmes sont peu au fait de cette nouvelle option. « L’informatio­n est restée institutio­nnelle, il y a encore assez peu de monde qui sait que ça existe au Québec comme possibilit­é », constate-t-elle.

 ??  ?? Environ 10 % des femmes qui souhaitent un avortement choisissen­t la méthode médicale. JACQUES NADEAU LE DEVOIR
Environ 10 % des femmes qui souhaitent un avortement choisissen­t la méthode médicale. JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Newspapers in French

Newspapers from Canada