Le Devoir

Où sont les mères de jeunes enfants dans les promesses aux familles ?

- Sophie Mathieu Chercheuse postdoctor­ale au départemen­t de sociologie, Université Brock Spécialist­e des politiques familiales au Québec

À chaque campagne électorale, les chefs disent vouloir soutenir les familles, en leur facilitant la vie et en leur donnant du répit. Derrière ce discours générique se cachent plusieurs subtilités qui peuvent avoir un effet néfaste sur les mères, qui sont souvent la pierre angulaire de la famille. Car ce sont les femmes, et plus particuliè­rement les mères, qui bénéficien­t ou qui font les frais des mesures de soutien aux familles.

Il importe de souligner qu’aucun des partis ne propose ouvertemen­t d’amenuiser les inégalités de genre. Québec solidaire a bien un onglet « féminisme » sur son site, mais les rubriques associées ne concernent pas les familles. Le Parti québécois, qui utilise le mot « famille » à douze reprises sur sa plate-forme, ne mentionne pas le mot « femme ». Rappelons que ce sont encore les femmes, et plus encore les mères, qui passent le plus de temps à faire des tâches ménagères et de soins, que ce sont elles qui travaillen­t le plus à temps partiel et que ce sont elles qui se retirent du marché du travail pour une période prolongée à la suite de la venue d’un enfant.

Que dit la recherche sur la conciliati­on travail-famille et l’égalité entre les genres ? Que ce sont les services plus que les allocation­s qui permettent de rééquilibr­er les inégalités qui naissent lorsque les couples deviennent parents. Concrèteme­nt, des services de garde (SDG) de qualité et à faible coût soutiennen­t une « dématernal­isation » des soins, en permettant aux mères d’être actives sur le marché du travail, alors que des mesures fiscales et les allocation­s ne modifient pas la division du travail selon le genre.

Deux partis politiques font fi de ces constats. Le Parti libéral souhaite offrir entre 150$ et 300$ par enfant pour que les familles puissent avoir la « liberté de choisir de l’investir dans ce qui leur facilite le plus la vie ». Pour une famille aisée, ce montant permet à peine de couvrir les frais de garde en CPE pour une semaine. Le PLQ promet aussi d’ouvrir 2000 nouvelles places en SDG, dont la majorité serait dans les CPE. Si la promesse est intéressan­te, elle ne tient pas la route, puisque le gouverneme­nt Couillard a fait exploser le nombre de places en garderies privées depuis 2003. Enfin, le PLQ promet d’apporter des modificati­ons au RQAP, en permettant aux parents de mettre en banque jusqu’à 10 jours de congé. Cette mesure, qui était déjà prévue dans le projet de loi 174, est favorable aux mères qui pourront utiliser les congés lorsque leur enfant est malade, par exemple.

Penchant nataliste

Beaucoup d’encre a été versée concernant le penchant nataliste des mesures proposées par la Coalition avenir Québec. La CAQ souhaite offrir une allocation familiale qui augmentera­it le montant reçu lors de la naissance du deuxième enfant et des suivants. Actuelleme­nt, le crédit d’impôt dont bénéficien­t les parents peut atteindre jusqu’à 2430 $ pour le premier enfant et 1214 $ pour les suivants. M. Legault nie l’existence des économies d’échelle réalisées à la suite de la naissance du deuxième enfant, et souhaite offrir un crédit de 2430 $ pour tous les enfants. La mesure rappelle le bébé-bonus mis en place en 1988, également en porte à faux avec le principe d’économie d’échelle et qui offrait 500 $ à la naissance des deux premiers enfants, et 3000 $ pour les naissances subséquent­es. Non seulement la mesure de Legault ne soutient pas l’égalité entre les genres, mais elle porte un parfum de natalisme-édulcoloré-version-2018. L’autre mesure phare de la CAQ, les prématerne­lles 4 ans, ne sont intéressan­tes que sous l’angle de la gratuité et par le fait qu’elles seraient financées par le ministère de l’Éducation, rappelant la vocation éducative des SDG à la petite enfance. Pour le reste, les CPE peuvent très bien continuer de s’occuper des enfants de 4 ans.

Le Parti québécois est le seul à ne pas offrir de nouvelles allocation­s aux familles. M. Lisée souhaite plutôt améliorer « l’accessibil­ité aux services de garde éducatifs » en donnant la « priorité au développem­ent de nouvelles places en centres de la petite enfance » et en réduisant les tarifs. Des études ont démontré un taux de satisfacti­on plus élevé à l’égard des CPE que des garderies privées, même celles subvention­nées. L’idée de revenir à l’essence politique familiale de 1997 en privilégia­nt le développem­ent des CPE est la meilleure voie à suivre. Le PQ propose aussi d’offrir des lunchs aux enfants des écoles primaires dont le coût varierait entre 1 $ et 5 $. Cette mesure pourrait soulager les mères, souvent responsabl­es de la préparatio­n des repas. Une telle mesure pourrait créer de l’emploi chez les femmes, puisque les repas seraient préparés par des organismes communauta­ires et d’économie sociale. Dommage que le PQ n’ait pas saisi l’occasion de préciser qu’il n’était pas seulement le parti des familles, mais aussi celui des mères et de l’égalité entre les genres.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Ce sont les services – tels que les CPE – plus que les allocation­s qui permettent d’amenuiser les inégalités entre les parents.

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