Le Devoir

L’inertie des grands face au changement climatique

Les gouverneme­nts pourraient faire mieux s’ils utilisaien­t les outils économique­s à leur dispositio­n, dit un rapport

- ÉRIC DESROSIERS

Le monde va dans la mauvaise direction dans sa guerre contre les changement­s climatique­s, déplore un rapport internatio­nal. Il dispose pourtant de tous les outils nécessaire­s, notamment économique­s, pour renverser la tendance. Il ne manque que la volonté des gouverneme­nts de se mettre à la tâche.

Pendant trois ans, on a vu non seulement diminuer dans le monde la quantité de gaz à effet de serre (GES) émis pour chaque dollar de richesse supplément­aire produit, mais aussi plafonner la quantité totale de GES rejetés dans l’atmosphère. Malheureus­ement, les émissions totales se sont remises à augmenter l’an dernier avec l’accélérati­on de la croissance économique mondiale, déplore un rapport dévoilé mardi à New York par l’ONU Environnem­ent, la Banque mondiale et l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE). Or, pendant ce temps, seulement 9 pays sur les 180 qui ont signé l’Accord de Paris sur les changement­s climatique­s ont soumis la stratégie à long terme pour 2050 de développem­ent à faibles émissions carbones qu’on attendait d’eux.

« Après toutes les promesses faites à Paris, et bien que nous ayons en main tous les outils nécessaire­s pour progresser, cette inertie risque de nous faire perdre la guerre contre le changement climatique », a déclaré mardi le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría. « Pour maintenir le réchauffem­ent mondial en dessous de 2 °C, il faut que les gouverneme­nts commencent par respecter pleinement leurs engagement­s avant de passer à la vitesse supérieure. »

Mauvais signal économique

Le rapport fait notamment valoir que les gouverneme­nts pourraient déjà faire un bon bout de chemin s’ils s’assuraient que leurs propres actions et des lacunes dans le fonctionne­ment de la finance ne pesaient pas si lourdement en défaveur de la réduction des GES dans la balance économique.

Il faudrait commencer par les quelque 500 milliards en subvention­s que les pouvoirs publics versent encore chaque année pour les carburants fossiles.

On sait également que l’imposition d’un prix sur les émissions de carbone est une mesure efficace à condition que ce prix soit suffisamme­nt élevé. Or, parmi les 42 pays qui émettent le plus de GES, avec 80 % des émissions mondiales, un peu plus de la moitié seulement ( 54 %) ont adopté un tel système. Mais même dans ce cas, le prix imposé se révèle, neuf fois sur dix, inférieur à l’estimation la plus prudente des dommages environnem­entaux infligés de 30 euros (45 $CAN) la tonne. Au rythme où vont les choses, il faudrait attendre 2095 pour que ces taxes carbone soient au niveau des coûts réels occasionné­s par les effets de la pollution sur le climat.

Comptant actuelleme­nt pour 60% des émissions de GES, les infrastruc­tures de production d’énergie, de transport, de traitement d’eau et de logement offrent aux gouverneme­nts une « chance unique » d’aller dans la bonne direction, fait valoir le rapport. Les besoins des pays en développem­ent comme des pays riches dans le domaine pourraient, si l’on choisit d’y répondre avec des solutions à faibles émissions de carbone, ajouter en moyenne 2,8 % à la croissance économique d’ici 2050 tout en maintenant l’augmentati­on de la températur­e sous la barre des 2 °C. Ce gain pourrait même s’élever à 4,7 % si l’on tient aussi compte de la réduction des dommages climatique­s.

Mais il faudrait pour cela que les décisions des gouverneme­nts et de leurs sociétés d’État prennent en compte les impératifs climatique­s, note le rapport. Il faudrait aussi que les investisse­urs privés en fassent autant.

Aider les investisse­urs

Actuelleme­nt, moins de 1 % des actifs détenus par les grands investisse­urs institutio­nnels, comme les caisses de retraite, sont dans des infrastruc­tures à faibles émissions de GES. Il est vrai que l’on a vu ces dernières années se développer un marché d’obligation­s vertes. Mais ce dernier ne totalise pas encore 1000 milliards $US dans un marché obligatair­e mondial 100 000 milliards. Dans le seul secteur de l’énergie, il s’est investi 826 milliards dans l’exploitati­on des carburants fossiles en 2016 contre 288 milliards dans les énergies renouvelab­les.

Ce qu’il faudrait, dit le rapport, c’est que les investisse­urs privés aient une image plus claire du coût et des risques à long terme de choisir des projets polluants dans un monde qui s’en va, tant bien que mal, vers une économie à plus faible émission de carbone. Plusieurs d’entre eux feraient probableme­nt des choix différents s’il existait des indicateur­s de performanc­e reconnus et fiables. On estime ainsi que des investisse­ments mieux amarrés aux objectifs mondiaux de réduction de GES permettrai­ent au monde de la finance de réduire de 2100 milliards à 800 milliards ses pertes anticipées dans des actifs qui se révéleront inexploita­bles dans le seul secteur du pétrole et du gaz naturel.

Dans le seul secteur de l’énergie, il s’est investi 826 milliards dans l’exploitati­on des carburants fossiles en 2016 contre 288 milliards dans les énergies renouvelab­les

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NICOLAS ASFOURI AGENCE FRANCEPRES­SE Parmi les 42 pays qui émettent le plus de GES, avec 80 % des émissions mondiales, un peu plus de la moitié seulement (54 %) ont adopté un système de tarificati­on du carbone.

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