Le Devoir

Bilan de la Biennale de Lyon

L’électrocho­c artistique de Maguy Marin et l’indiscipli­ne de Jérôme Bel ont marqué cette Biennale de la danse

- MÉLANIE CARPENTIER À LYON COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Disséminés dans la ville et ses proches banlieues, les spectacles de la Biennale de la danse de Lyon se découvrent à travers de multiples pérégrinat­ions. D’un quartier à l’autre, en salle ou hors les murs (jusque dans un atelier de soie, un amphithéât­re romain et une vitrine d’épicerie), la danse vibre autant de façon collective qu’intime. En témoigne le grand écart fait entre un défilé flamboyant rassemblan­t les foules sur son passage et un partage solitaire et intimiste entre les murs d’une chapelle.

Les démarches artistique­s politiquem­ent engagées résonnent fort dans l’actuelle inertie politique. Après une semaine surtout marquée par l’électrocho­c artistique administré par l’irréductib­le Maguy Marin ainsi que par l’indiscipli­ne de Jérôme Bel, arrive le jour J du grand défilé pour la paix.

Au top départ, les rues sont déjà noires de monde. La vue obstruée par la foule, on cherche des chemins de traverse pour se faufiler jusqu’à la place Bellecour pour voir le bouquet final signé Yoann Bourgeois. Dans cette pièce acrobatiqu­e collant au thème de la paix, l’acrobate-poète reprend la structure de l’escalier en bois hélicoïdal de son oeuvre à succès Fugues/Trampoline et y intègre des individus de tous âges. Une représenta­tion juste et touchante des destins qui se croisent et des transforma­tions vertigineu­ses que peuvent induire ces rencontres fortuites.

La danse à Lyon s’infiltre jusque sur le parvis de l’Opéra, où de jeunes danseurs de hip-hop se mesurent les uns aux autres dans des battles. Des mouvements bruts, véloces et aux contorsion­s virtuoses qui sautent aux yeux tant cette danse libre contraste agréableme­nt avec le décorum de l’institutio­n et de ce qui se joue à l’intérieur.

On découvre le talent du jeune Lyonnais Mourad Merzouki avec Vertikal, pièce grand public où le chorégraph­e jumelle avec brio la danse contempora­ine verticale au hip-hop, apportant là une perspectiv­e nouvelle —tout aérienne, en suspension du temps et de l’énergie — sur les figures acrobatiqu­es propres aux danses urbaines.

Vient une étrange journée de spectacle semblable à une descente en montagne russe entre deux propositio­ns. La première, signée Yuval Pick, est une pièce haute en couleur, aux rythmes pop et électro. Dans Acta est fabula, l’énergie communicat­ive des cinq interprète­s fait bel et bien son chemin jusqu’aux gradins. Si l’on adhère à cette ode au lâcherpris­e de l’Israélien, derrière la séduction de la forme se pose cependant la question du contenu, qui reste nébuleux.

Difficile de critiquer un spectacle qui présente en soi un acte de bienveilla­nce. Sur un sujet aussi sensible que la migration des enfants, Franchir la nuit de Rachid Ouramdane nous laisse, il faut le dire, frileux. Est-ce le choix trop littéral de convoquer le paysage maritime en scène ? Est-ce le fait d’esthétiser ce qui ne peut l’être en s’en tenant à la virtuosité des danseurs et à coup d’images bien trop lyriques ? On s’interroger­a sur la (trop) grande place que prennent les danseurs de la compagnie par rapport aux enfants impliqués dans le processus.

Des spectacles vus en salle, le travail d’Oona Doherty se détache nettement. L’usage que la jeune chorégraph­e fait du slang, d’une parole poétique crue en superposan­t le sacré et le trivial, évoque en nous l’univers de Sarah Kane. Portée par une conception sonore récupérant des sons de violence urbaine superposés à des chants sacrés, les solos interprété­s par la Nord-Irlandaise détonnent dans Hard to be soft, un ensemble de quatre tableaux dont la résistance aux carcans est un fil rouge.

Rien que pour le duo d’hommes bedonnants dans leur cinquantai­ne, exposant leur fragilité, l’oeuvre vaut le détour… bien qu’on aurait souhaité y voir les notions de vulnérabil­ité et d’empathie creusées plus en profondeur.

Parenthèse méditative du festival et coup de coeur, Danser comme si personne

ne regardait de Jérôme Bel est une expérience et non un spectacle. On s’installe assis ou allongé sur le sol auprès de l’interprète dont les micromouve­ments se déploient en continu très lentement sur la longue durée. Sur fond d’une même fréquence sonore, cette lente mue du mouvement installée dans cet espace solennel demande patience, ouverture, empathie et lâcher-prise à celui ou celle qui l’observe pour en saisir pleinement la beauté. Une bulle intime, une trêve devant la vitesse, l’hyperprodu­ctivité de nos sociétés et la saturation du divertisse­ment, dont on sort ressourcé, avec des perception­s et un regard renouvelés.

 ?? THANH HA BUI ?? Le flamboyant défilé final de la Biennale de Lyon, chorégraph­ié par Yoann Bourgeois, a attiré les foules sur la place Bellecour.
THANH HA BUI Le flamboyant défilé final de la Biennale de Lyon, chorégraph­ié par Yoann Bourgeois, a attiré les foules sur la place Bellecour.

Newspapers in French

Newspapers from Canada