Infirmières : le remède à l’épuisement tarde à être administré
Gaétan Barrette avait promis 13 projets-pilotes pour l’été dernier
L’implantation de presque tous les projets-pilotes de ratios infirmières-patients, négociés en mars en guise d’issue à la crise d’épuisement des infirmières, a subi des retards.
Si les travaux pour les treize premiers projets ont bien débuté au printemps, la pénurie d’infirmières complique la mise en oeuvre, a constaté Le Devoir en contactant tous les milieux où des projets avaient été annoncés.
Un seul projet a été implanté en juillet et sept autres tout dernièrement, en septembre.
Professionnelles recherchées
Le cas du CHSLD Hubert-Maisonneuve, dans les Laurentides, est patent. « Recherchées : professionnelles en soins», annonce-t-on en lettres rouges et sur fond fluo sur le site Web du Syndicat des professionnelles en soin des Laurentides. « Le projet-pilote Ratios a besoin de VOUS ! »
Le projet devant débuter le 17 septembre a été reporté à la fin octobre. En entrevue, la présidente du syndicat, Julie Daignault, impute les problèmes de recrutement au fait que le projet se fait à Mont-Tremblant, loin des centres urbains. La réalisation nécessite l’ajout de douze infirmières et quatre infirmières auxiliaires, ce qui en fait l’un des plus gros projets-ratios, précise-telle. Ce CHSLD était déjà en situation de sous-effectifs, dit Jérôme Rousseau, vice-président responsable des projetsratios à la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ). Il constate que le personnel y était « à bout de souffle ». « Là où on a retardé, l’élément transversal, c’est les besoins de maind’oeuvre », constate-t-il.
Installations désuètes
Lors d’une visite du ministre Gaétan Barrette en début de campagne, le syndicat local avait aussi dénoncé les installations «désuètes» et le «climat lourd » qui « repoussent » les professionnelles en soins. Mme Daignault affirme que le projet va justement « améliorer le climat ».
Au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides, on préfère parler d’un « décalage » plutôt que d’un « retard ». « On a décalé le début, tout simplement », soutient la porte-parole, Thaïs Dubé. Concernant le recrutement, « c’est la même situation partout au Québec», soutientelle. Enfin, sur la désuétude des bâtiments, elle dit que c’est un milieu « totalement correct ».
À l’Hôtel-Dieu d’Amos, le syndicat local a confirmé au Devoir que la problématique de la main-d’oeuvre est telle que du personnel d’agence, la fameuse
Des infirmières et des auxiliaires viennent en renfort sur la plupart des quarts de travail où les projetspilotes ont cours. Les employées peuvent ainsi se remplacer les unes les autres durant les périodes de repas.
«main-d’oeuvre indépendante», travaille au sein même du projet-ratios qui vient tout juste de démarrer.
Vingt projets en tout
Treize des dix-sept projets démarreront « d’ici l’été », affirmait le ministre Gaétan Barrette en mars. Après une phase de planification, qui s’est déroulée dans les temps, cela menait à une implantation en plein été, ce qui s’est avéré généralement impossible.
Outre les Laurentides, les autres projets qui attendent leur démarrage d’ici quelques semaines sont ceux du CHUQ, de Lanaudière, de Chaudière- Appalaches et du Bas-Saint-Laurent. Finalement, portant le total aux dixsept promis, trois font toujours l’objet de négociations entre le syndicat FIQ et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et un n’a pas encore été annoncé publiquement, dans un établissement privé conventionné.
De plus, le MSSS mènera trois projets avec un deuxième syndicat infirmier, la Fédération de la santé du Québec (FSQ), sur la Côte-Nord, en Gaspésie et à Laval. Ils doivent être lancés cet automne et n’ont pas fait l’objet d’un communiqué ou d’une annonce nationale. Le total est donc de vingt, au bout du compte.
Pour le MSSS, il n’y a « pas de retard [...] certains reports étant à la demande de la FIQ, mais dans les délais convenus par les parties », a-t-il indiqué par courriel. Les projets se traduisent par l’ajout de ressources : plus d’infirmières et d’infirmières auxiliaires sur la plupart des quarts de travail. Des travailleuses pour se remplacer les unes les autres pendant les périodes de repas. Du personnel administratif en plus.
Le premier projet, celui sur une unité de chirurgie de l’Hôpital du SacréCoeur, a débuté le 23 juillet. L’effet positif a été immédiat, selon Jérôme Rousseau. « Les infirmières, surtout de soir, des jeunes, elles retrouvaient le goût de soigner à la hauteur de ce qu’elles avaient appris. Elles peuvent aller manger et partir à la fin de leur quart en ayant donné les soins qu’elles voulaient. »
Même dans cet établissement, il arrive que des quarts de travail ne soient pas comblés, faute de personnel, dit M. Rousseau.
Ailleurs
À l’Hôpital du Suroît, le projet en chirurgie a été reporté au 16 septembre parce que la période des vacances de la construction n’était pas jugée adéquate, selon le syndicat. « Les chirurgiens diminuent leur nombre de chirurgies en période estivale, donc ça n’aurait pas représenté les besoins », soulignent deux dirigeants du syndicat local, Francine Savoie et Sylvain Frappier.
Le tout a aussi coïncidé avec des négociations de conventions collectives locales parfois difficiles. Au Centre hospitalier de Trois-Rivières, les infirmières du projet-ratios l’ont commencé en pleins moyens de pression, vêtues de pantalons de pyjama. Le syndicat est parvenu à une entente de principe quelques jours plus tard.
Si le recrutement est déjà un défi pour dix-sept projets-pilotes, M. Rousseau concède que la barre sera haute au moment de mieux doter l’ensemble du Québec. « La Californie a doublé ses effectifs infirmiers avec les ratios », constate-t-il. Sans avancer qu’il faudra aller jusque-là, il croit qu’il faudra former plus d’infirmières et rendre la profession beaucoup plus attractive. « Les jeunes, elles sont vite désenchantées», laisse-t-il tomber, espérant que le rehaussement des ratios viendra briser cette tendance lourde.
Les infirmières, surtout de soir, des jeunes, elles retrouvaient le goût de soigner à la hauteur de ce qu’elles avaient appris JÉRÔME ROUSSEAU