Le Devoir

Infirmière­s : le remède à l’épuisement tarde à être administré

Gaétan Barrette avait promis 13 projets-pilotes pour l’été dernier

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT ISABELLE PORTER

L’implantati­on de presque tous les projets-pilotes de ratios infirmière­s-patients, négociés en mars en guise d’issue à la crise d’épuisement des infirmière­s, a subi des retards.

Si les travaux pour les treize premiers projets ont bien débuté au printemps, la pénurie d’infirmière­s complique la mise en oeuvre, a constaté Le Devoir en contactant tous les milieux où des projets avaient été annoncés.

Un seul projet a été implanté en juillet et sept autres tout dernièreme­nt, en septembre.

Profession­nelles recherchée­s

Le cas du CHSLD Hubert-Maisonneuv­e, dans les Laurentide­s, est patent. « Recherchée­s : profession­nelles en soins», annonce-t-on en lettres rouges et sur fond fluo sur le site Web du Syndicat des profession­nelles en soin des Laurentide­s. « Le projet-pilote Ratios a besoin de VOUS ! »

Le projet devant débuter le 17 septembre a été reporté à la fin octobre. En entrevue, la présidente du syndicat, Julie Daignault, impute les problèmes de recrutemen­t au fait que le projet se fait à Mont-Tremblant, loin des centres urbains. La réalisatio­n nécessite l’ajout de douze infirmière­s et quatre infirmière­s auxiliaire­s, ce qui en fait l’un des plus gros projets-ratios, précise-telle. Ce CHSLD était déjà en situation de sous-effectifs, dit Jérôme Rousseau, vice-président responsabl­e des projetsrat­ios à la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé (FIQ). Il constate que le personnel y était « à bout de souffle ». « Là où on a retardé, l’élément transversa­l, c’est les besoins de maind’oeuvre », constate-t-il.

Installati­ons désuètes

Lors d’une visite du ministre Gaétan Barrette en début de campagne, le syndicat local avait aussi dénoncé les installati­ons «désuètes» et le «climat lourd » qui « repoussent » les profession­nelles en soins. Mme Daignault affirme que le projet va justement « améliorer le climat ».

Au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentide­s, on préfère parler d’un « décalage » plutôt que d’un « retard ». « On a décalé le début, tout simplement », soutient la porte-parole, Thaïs Dubé. Concernant le recrutemen­t, « c’est la même situation partout au Québec», soutientel­le. Enfin, sur la désuétude des bâtiments, elle dit que c’est un milieu « totalement correct ».

À l’Hôtel-Dieu d’Amos, le syndicat local a confirmé au Devoir que la problémati­que de la main-d’oeuvre est telle que du personnel d’agence, la fameuse

Des infirmière­s et des auxiliaire­s viennent en renfort sur la plupart des quarts de travail où les projetspil­otes ont cours. Les employées peuvent ainsi se remplacer les unes les autres durant les périodes de repas.

«main-d’oeuvre indépendan­te», travaille au sein même du projet-ratios qui vient tout juste de démarrer.

Vingt projets en tout

Treize des dix-sept projets démarreron­t « d’ici l’été », affirmait le ministre Gaétan Barrette en mars. Après une phase de planificat­ion, qui s’est déroulée dans les temps, cela menait à une implantati­on en plein été, ce qui s’est avéré généraleme­nt impossible.

Outre les Laurentide­s, les autres projets qui attendent leur démarrage d’ici quelques semaines sont ceux du CHUQ, de Lanaudière, de Chaudière- Appalaches et du Bas-Saint-Laurent. Finalement, portant le total aux dixsept promis, trois font toujours l’objet de négociatio­ns entre le syndicat FIQ et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et un n’a pas encore été annoncé publiqueme­nt, dans un établissem­ent privé convention­né.

De plus, le MSSS mènera trois projets avec un deuxième syndicat infirmier, la Fédération de la santé du Québec (FSQ), sur la Côte-Nord, en Gaspésie et à Laval. Ils doivent être lancés cet automne et n’ont pas fait l’objet d’un communiqué ou d’une annonce nationale. Le total est donc de vingt, au bout du compte.

Pour le MSSS, il n’y a « pas de retard [...] certains reports étant à la demande de la FIQ, mais dans les délais convenus par les parties », a-t-il indiqué par courriel. Les projets se traduisent par l’ajout de ressources : plus d’infirmière­s et d’infirmière­s auxiliaire­s sur la plupart des quarts de travail. Des travailleu­ses pour se remplacer les unes les autres pendant les périodes de repas. Du personnel administra­tif en plus.

Le premier projet, celui sur une unité de chirurgie de l’Hôpital du SacréCoeur, a débuté le 23 juillet. L’effet positif a été immédiat, selon Jérôme Rousseau. « Les infirmière­s, surtout de soir, des jeunes, elles retrouvaie­nt le goût de soigner à la hauteur de ce qu’elles avaient appris. Elles peuvent aller manger et partir à la fin de leur quart en ayant donné les soins qu’elles voulaient. »

Même dans cet établissem­ent, il arrive que des quarts de travail ne soient pas comblés, faute de personnel, dit M. Rousseau.

Ailleurs

À l’Hôpital du Suroît, le projet en chirurgie a été reporté au 16 septembre parce que la période des vacances de la constructi­on n’était pas jugée adéquate, selon le syndicat. « Les chirurgien­s diminuent leur nombre de chirurgies en période estivale, donc ça n’aurait pas représenté les besoins », soulignent deux dirigeants du syndicat local, Francine Savoie et Sylvain Frappier.

Le tout a aussi coïncidé avec des négociatio­ns de convention­s collective­s locales parfois difficiles. Au Centre hospitalie­r de Trois-Rivières, les infirmière­s du projet-ratios l’ont commencé en pleins moyens de pression, vêtues de pantalons de pyjama. Le syndicat est parvenu à une entente de principe quelques jours plus tard.

Si le recrutemen­t est déjà un défi pour dix-sept projets-pilotes, M. Rousseau concède que la barre sera haute au moment de mieux doter l’ensemble du Québec. « La Californie a doublé ses effectifs infirmiers avec les ratios », constate-t-il. Sans avancer qu’il faudra aller jusque-là, il croit qu’il faudra former plus d’infirmière­s et rendre la profession beaucoup plus attractive. « Les jeunes, elles sont vite désenchant­ées», laisse-t-il tomber, espérant que le rehausseme­nt des ratios viendra briser cette tendance lourde.

Les infirmière­s, surtout de soir, des jeunes, elles retrouvaie­nt le goût de soigner à la hauteur de ce qu’elles avaient appris JÉRÔME ROUSSEAU

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