Le Devoir

Les leçons d’une élection

- MANON CORNELLIER

Alors que les sondages laissent présager l’élection d’un gouverneme­nt minoritair­e au Québec, les NéoBrunswi­ckois s’en sont donné un lundi. Ce résultat annonce une période d’instabilit­é, mais cela n’empêche pas un gouverneme­nt minoritair­e d’être porteur de changement. Adepte de l’alternance entre deux grands partis, le Nouveau-Brunswick a rompu avec la tradition pour la première fois depuis 1920. Ce seront les libéraux ou les conservate­urs qui gouvernero­nt, mais aucun ne pourra le faire seul, aucun n’ayant atteint le chiffre magique de 25 sièges. Les libéraux de Brian Gallant en ont raflé 21 et les progressis­tes-conservate­urs, 22. L’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick et le Parti vert ont fait élire chacun trois députés.

Mais un premier constat s’impose : notre mode de scrutin a conduit de nouveau à une distorsion de la volonté populaire. Avec 38 % des voix, les libéraux ont obtenu un siège de moins que les conservate­urs, qui ont glané 32 % des suffrages. Comme le dit le chef péquiste Jean-François Lisée, voilà une démonstrat­ion éloquente de la nécessité de procéder à une réforme du mode de scrutin uninominal à un tour. La population néo-brunswicko­ise a surtout soutenu des forces progressis­tes, mais risque maintenant de se retrouver avec un gouverneme­nt plus à droite.

M. Gallant refuse de renoncer. Il veut d’ici Noël, en tout respect des convention­s, demander à l’Assemblée législativ­e de lui accorder sa confiance. Entre-temps, il va mesurer ses appuis, mais il ne veut pas s’acoquiner avec l’Alliance, qui conteste le bilinguism­e. Le Parti vert n’a pas assez de députés pour lui assurer une majorité. Les conservate­urs, en revanche, ont un allié naturel dans l’Alliance et leurs forces combinées donneraien­t une majorité d’un siège au PC.

La tradition canadienne n’est pas aux coalitions, mais aux ententes ponctuelle­s où un parti donne son appui en échange de concession­s sur des enjeux qui lui tiennent à coeur. Ce qu’ont fait le libéral David Peterson et le néo-démocrate Bob Rae en Ontario entre 1985 et 1987. Avec l’appui des Verts, le NPD de la Colombie-Britanniqu­e gouverne depuis environ un an avec une maigre majorité d’un siège.

Un gouverneme­nt minoritair­e peut aussi solliciter des appuis au cas par cas, ce qu’envisagera­ient le Parti québécois et Québec solidaire. Ou il peut faire plier ses adversaire­s effrayés par des élections précipitée­s, ce qu’a fait le premier ministre conservate­ur Stephen Harper pendant deux mandats.

Un gouverneme­nt minoritair­e peut donc survivre, mais cela exige beaucoup de compromis. Ce qui peut offrir des avantages. Voici un exemple. La députation conservatr­ice ne compte qu’un seul francophon­e, Robert Gauvin, ce qui inquiète des Acadiens. Mais pour sauver sa peau, un gouverneme­nt minoritair­e doit faire preuve d’humilité et être à l’écoute des électeurs et des simples députés. Si le PC est appelé à gouverner avec une voix de majorité, il devra prendre soin de son seul député francophon­e, qui a dit ne pas être prêt à tous les compromis.

Ne pas avoir le pouvoir absolu incite à la modération et peut aussi conduire à l’adoption de politiques innovatric­es. Le meilleur exemple au fédéral, où plusieurs gouverneme­nts minoritair­es se sont succédé depuis 1945, demeure le libéral Lester B. Pearson. Il a fait adopter les premiers jalons de l’assurance-maladie, un régime de pension transférab­le et le Régime d’assistance publique. Il a reconnu le droit de retrait provincial de programmes fédéraux, ce qui a permis la création de la Régie des rentes du Québec…

La montée du multiparti­sme accroît un peu partout la probabilit­é d’élire des gouverneme­nts minoritair­es. Malgré ce qu’on en dit, les citoyens peuvent en sortir gagnants. À une condition cependant : que la culture politique change pour faire davantage place à la coopératio­n et au dialogue. Notre mode de scrutin ne l’encourage pas. Au contraire, il nourrit l’obsession de la majorité à tout prix. On se parle, le temps de se préparer pour le prochain duel.

Notre système parlementa­ire ne pourra, sans réforme du mode de scrutin, réellement tenir compte de ce multiparti­sme. Il n’y parviendra pas non plus si les partis ne révisent pas leurs façons de faire. Comme l’élection d’un gouverneme­nt minoritair­e est possible le 1er octobre et qu’un nouveau mode de scrutin en augmentera­it ensuite la probabilit­é, il serait pertinent que les partis nous disent comment ils envisagent leur travail et leurs relations dans ce nouveau contexte.

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