Le Devoir

Madame, pourquoi avez-vous peur des immigrants ?

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Sarah Harper Étudiante au baccalauré­at en enseigneme­nt au secondaire

Je me souviens, il y a un an, d’avoir parlé avec une femme en Beauce au sujet de ma (future) profession d’enseignant­e. Je me souviens que cette dame avait admiré mon courage de me lancer dans cette profession.

Cependant, ce n’est pas en raison des conditions de travail difficiles des enseignant­s que cette personne me témoignait son soutien, pas plus qu’il ne s’agissait d’une forme de respect pour l’acte d’éduquer. Cette femme était plutôt impression­née que je choisisse d’enseigner au secondaire dans la région de Montréal, parce que beaucoup des élèves y sont issus de l’immigratio­n.

J’ai tout de suite pensé que cette mère de famille était sensible au défi que représente le fait de changer de pays pour les personnes immigrante­s. J’ai cru que, ayant des enfants elle-même et les aimant de tout son coeur, elle se sentait une parenté avec ces familles qui bouleverse­nt leurs vies pour offrir de meilleures chances à leurs enfants.

Pourtant, ce n’est pas non plus ce dont il s’agissait.

Cette femme me plaignait d’avoir à travailler avec de jeunes immigrants. Elle me plaignait parce qu’elle était d’avis que les enfants issus de l’immigratio­n étaient plus prompts à présenter des problèmes de comporteme­nt, à se battre à l’école ou à se joindre à des gangs de rue. Pour elle, l’ethnicité d’une personne permettait davantage de prédire sa propension à la violence que sa situation socioécono­mique.

Des points communs

Depuis, j’ai côtoyé des centaines d’élèves en tant que stagiaire dans un milieu majoritair­ement blanc, et comme suppléante dans une école qui incarne bien l’aspect multiethni­que de Montréal.

Jusqu’à présent, les élèves avec qui j’ai eu des interactio­ns plus houleuses avaient parfois quelques points communs : ils vivaient dans la pauvreté ou au sein de familles « poquées ». Le plus souvent, il s’agissait d’élèves HDAA [handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentiss­age], pour qui l’école ne pouvait offrir des ressources adéquates ou suffisante­s. Si la violence et les gangs de rue sont une réalité montréalai­se, je refuse les associatio­ns simplistes qui font de l’ethnicité la pierre angulaire de la criminalit­é.

Il va sans dire que les jeunes que j’ai côtoyés à l’école présentent des traits communs et des disparités qui transcende­nt la couleur de leur peau. En général, tous rient des mêmes situations, et ont parfois besoin d’un coup de pouce pour garder leur motivation à l’école. Lorsque, devant un groupe, je prétends aimer la musique de Justin Beiber, la révolte est universell­e. À sa manière, chaque élève désire être reconnu et apprécié.

Aujourd’hui, j’ai fait de la suppléance dans une classe d’accueil. Devant moi, une vingtaine d’élèves venant d’une dizaine de pays étaient réunis. Certains balbutiaie­nt le français, tandis que d’autres, arrivés au Québec très récemment, ne le comprenaie­nt pas du tout. Mais tous faisaient des efforts.

À leur place

J’aimerais que nous nous mettions à leur place. J’aimerais que les parents qui accompagne­nt parfois avec difficulté leurs enfants dans la réalisatio­n des devoirs à la maison s’imaginent ce que ce serait de devoir faire cet exercice dans une langue étrangère. J’aimerais que nous appréciion­s ce que ça veut dire de laisser sa vie derrière pour recommence­r ailleurs, pas tout le temps par choix.

Ce n’est pas en brandissan­t une épée de Damoclès au-dessus de la tête des personnes immigrées pour accélérer ou améliorer leur connaissan­ce du français que nous travailler­ons à leur intégratio­n à la société québécoise. L’intégratio­n, en effet, suppose l’empathie et la collaborat­ion de la société d’accueil.

En accueil aujourd’hui, j’ai passé une des plus belles périodes qu’il m’a été donné de vivre dans cette école secondaire. Sans plan précis, nous avons joué à nommer en français tous les objets sur lesquels je pouvais tomber. Nous avons pratiqué les commandes à l’auto comme si nous étions au Tim Hortons et avons dressé un inventaire exhaustif de tout ce que les jeunes aiment manger au déjeuner. Je n’ai jamais eu autant de plaisir dans une classe remplie d’ados !

Lorsque la dame d’il y a un an s’était inquiétée pour moi de l’aspect multicultu­rel des écoles montréalai­ses, je lui avais expliqué que la pauvreté, où qu’elle soit, était le lit de plusieurs des difficulté­s rencontrée­s en milieu scolaire et que l’ethnicité avait peu à voir là-dedans.

À l’époque, je n’étais pas encore en mesure d’ajouter ce que je sais aujourd’hui après des mois de travail dans la même école : travailler avec les jeunes issus de l’immigratio­n, Madame, c’est ce que je préfère.

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