Le Devoir

Les enjeux occultés de la gestion environnem­entale

- Louis-Gilles Francoeur

Ancien journalist­e à l’environnem­ent au Devoir et ancien vice-président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE)

Les enjeux les plus fondamenta­ux en matière de gestion environnem­entale au Québec comme le financemen­t du ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC) ont été véritablem­ent occultés autant par les partis politiques que par les médias durant cette campagne électorale.

L’intérêt, voire les angoisses des jeunes devant l’évolution de l’environnem­ent mondial et québécois traduisent une perception intuitive de la faiblesse des garde-fous environnem­entaux et celle, statutaire, du ministère sensé encadrer le développem­ent. Comment imaginer qu’aucun parti durant cette élection où tout le monde se dit vert n’ait qualifié de scandale permanent le budget famélique du MDDELCC et n’y ait vu le moindre lien avec la faiblesse, voire l’incohérenc­e de certaines politiques gouverneme­ntales en matière d’environnem­ent ?

Le budget québécois 2018-2019 alloue en effet au MDDELCC seulement 175,5 millions de dollars pour cet exercice financier, soit 0,2 % du budget de l’État québécois. Un cinquième de 1 % !

Cette somme correspond par ailleurs à seulement 1,6 jour du budget annuel du ministère de la Santé et des Services sociaux, ce qui, à sa face même, traduit un déni de l’importance de politiques de prévention musclées en environnem­ent. Pourtant, la science indique avec constance qu’une partie importante des problèmes de santé est liée à un milieu de vie insalubre et artificial­isé.

Un budget fort limité

Le budget de l’Environnem­ent s’est avéré en 2018-2019 le deuxième plus faible des 20 ministères québécois. L’Environnem­ent devançait seulement le ministère des Relations internatio­nales et de la Francophon­ie (111,6 millions de dollars). Énergie et Ressources naturelles ainsi que Forêts, Faune et Parcs obtenaient ensemble pour l’exploitati­on de nos ressources 572,6 millions de dollars.

Aucune plateforme de quelque parti politique ne devrait, à mon avis, être prise au sérieux sans une propositio­n visant à hausser à au moins 1 % en 10 ans le budget de ce ministère, compte tenu de l’ampleur de ses multiples missions de contrôle, de recherche et de conservati­on. Si tel était le cas présenteme­nt, le MDDELCC se retrouvera­it néanmoins au 11e rang sur 20 ministères. Pourtant, les électeurs placent présenteme­nt l’environnem­ent au quatrième rang de leurs préoccupat­ions…

La faiblesse budgétaire actuelle de l’Environnem­ent peut aussi être mise en relation avec les objectifs de la nouvelle Loi sur la qualité de l’environnem­ent adoptée au printemps 2017. Cette loi a réduit l’examen annuel préalable de 5000-6000 projets par les fonctionna­ires à seulement 1200-1500 projets. On est visiblemen­t en face d’un ministère obligé de réduire ses activités de contrôle préalable des projets de développem­ent parce qu’il n’a pas assez d’argent pour assumer sa mission de prévention des dégâts.

Protection de la biodiversi­té

La deuxième plus grande faiblesse des politiques de protection de l’environnem­ent du Québec réside sans contredit dans l’absence chronique d’une véritable politique de protection de la biodiversi­té au Québec, un enjeu passé sous silence durant cette élection même s’il est aussi important que celui des changement­s climatique­s.

Le Québec a pourtant adhéré moralement aux deux grandes convention­s internatio­nales qui ciblent les deux plus importants problèmes environnem­entaux de la planète, soit les convention­s signées à Rio en 1992 pour neutralise­r les changement­s climatique­s et enrayer le déclin de la biodiversi­té. Le Québec s’est ainsi doté d’une politique de réduction de 20 % de ses GES d’ici 2020 même s’il est déjà inévitable qu’il ratera cette cible en raison du peu de rigueur des moyens mis en place et de l’éparpillem­ent du pouvoir de dépenser l’argent du Fonds vert, devenu un véritable bar ouvert. Mais au moins, l’adoption d’une politique sur les changement­s climatique­s permet de mettre un peu de cohérence dans l’action gouverneme­ntale et, à tout le moins, d’en réclamer au nom des objectifs officiels.

Mais rien de tel sur le front de la biodiversi­té alors que les mines à ciel ouvert se multiplien­t, que les motoneiges seront admises bientôt dans les parcs, que les villes dortoirs s’agrandisse­nt, que les routes forestière­s et les autoroutes scindent des milieux naturels sans examen environnem­ental indépendan­t, que l’exploratio­n d’hydrocarbu­res n’est pas exclue dans et sous les cours d’eau, et que l’encre de la récente loi sur les milieux humides n’est pas encore sèche que les compensati­ons prévues sont réduites, voire annulées dans le cas des cannebergi­ères projetées dans les dernières tourbières de la rive-sud du Saint-Laurent.

Informatio­n complète

D’autre part, comment peut-on imaginer que les partis politiques et les médias n’aient pas hissé au rang d’enjeu électoral le report répété de la mise en place du registre des projets susceptibl­es d’affecter notre environnem­ent ? Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur de transparen­ce et du droit du public — et des médias ! — à une informatio­n environnem­entale complète et sans chichi administra­tif. Mais les pressions des milieux économique­s, qui craignent énormément cette politique de transparen­ce, seraient à l’origine des nouveaux délais parce que, tout comme dans le cas des milieux humides, plusieurs espèrent réduire par la porte d’en arrière la portée de cette loi par le biais de ses règles d’applicatio­n.

Tous doivent être conscients que la plupart des propositio­ns des partis politiques en matière d’environnem­ent, souvent à la périphérie des grands enjeux, ont peu de chances d’avoir des résultats positifs quand ces différente­s solutions seront éventuelle­ment contredite­s ou annulées par les politiques en sens inverse d’autres ministères, quand le ministère responsabl­e de l’environnem­ent se retrouve minoritair­e dans les grands comités interminis­tériels responsabl­es du développem­ent économique, notamment en raison de son faible poids dans l’appareil gouverneme­ntal, que reflète la minceur de son budget. Cette question en soulève une autre qui intéresse malheureus­ement fort peu les politiques et les médias, à savoir quelle devraient être la mission et la place d’un ministère de l’Environnem­ent dans l’appareil d’État. Après un demi-siècle de gestion environnem­entale au Québec, il serait temps de soulever cette question, qui pourrait bien expliquer pourquoi bon nombre de Québécois ont l’impression que les enjeux environnem­entaux n’ont ni l’attention ni l’importance qu’ils devraient avoir de la part du gouverneme­nt.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Alors que les villes s’agrandisse­nt sans cesse, le Québec n’a pas, pour protéger la biodiversi­té, l’équivalent de sa politique sur les changement­s climatique­s.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Alors que les villes s’agrandisse­nt sans cesse, le Québec n’a pas, pour protéger la biodiversi­té, l’équivalent de sa politique sur les changement­s climatique­s.

Newspapers in French

Newspapers from Canada