Le Devoir

Lettre au futur premier ministre

- Frédéric Legault

À moins d’une semaine des élections, rien ne laisse présager que vous, qui serez au pouvoir pour les quatre prochaines années, serez issu d’un parti écologiste. Alors qu’on nous annonçait récemment que nous n’avions plus que deux ans pour inverser la tendance des bouleverse­ments climatique­s, il importe de vous rappeler votre responsabi­lité relativeme­nt à cet enjeu historique.

Depuis des décennies, les études scientifiq­ues et les cris d’alarme convergent par milliers pour dénoncer l’inaction gouverneme­ntale. Pourtant, la question environnem­entale peine à se tailler une place sérieuse dans votre programme. Si pour vous, sortir le Québec du pétrole relève d’un rêve en couleur, je vous signale que c’est pourtant la position la plus pragmatiqu­e qui puisse être adoptée face à l’urgence climatique.

Contre la science et les faits, vous restez prisonnier de votre rêve : continuer de miser sur l’accumulati­on et la croissance. Saviez-vous, Monsieur, que selon les prédiction­s les plus réalistes, la Terre deviendra invivable d’ici la fin du siècle ? N’avez-vous pas, peut-être pour la première fois, ressenti le réchauffem­ent climatique cet été ? Les 90 morts causés par les huit canicules ne peuvent plus agir comme simple avertissem­ent. Le déluge ne sera pas après vous. Il est déjà là. En tant que premier ministre, faire preuve d’inertie dans cette situation vous rendrait complice d’un des plus grands crimes contre l’humanité.

Quelle ampleur peuvent atteindre les dérèglemen­ts climatique­s? Jusqu’où le mercure grimpera-t-il ? Jusqu’à quel niveau les mers peuventell­es monter ? Ce processus est-il même réversible ? À ce jour, il nous est impossible de le savoir. Ce que nous savons, par contre, c’est que l’extraction et la consommati­on des hydrocarbu­res sont la principale source de ces dérèglemen­ts. Si vous croyez qu’on doit continuer d’investir dans les énergies sales, que l’économie québécoise a besoin de ces sources d’énergie pour être prospère, que vous vous entêtez à craindre une hypothétiq­ue fuite des capitaux, alors il est temps de redéfinir ce qu’on entend par « utopistes » et « pelleteux de nuages ». Non, ces épithètes ne peuvent plus désigner les écologiste­s. S’il y a un rêveur dans la salle, c’est bien celui qui croit que l’on peut continuer de brûler des énergies fossiles comme s’il n’y avait pas de lendemain. Les écologiste­s seront les pragmatiqu­es du XXIe siècle.

La transition écologique n’est pas aussi déconnecté­e de la réalité économique que vous le prétendez. Des plans de transition sérieux, chiffrés et précis sont sur la table au Québec. Ces suggestion­s ne peuvent plus être considérée­s comme des caprices d’écologiste­s illuminés, mais comme les seules options sérieuses et raisonnabl­es.

Nous aurions au moins cru que les cyclones tropicaux, les inondation­s et les canicules auraient été pédagogiqu­es pour vous. Mais non. Même les morts semblent avoir perdu le pouvoir de vous convaincre. Monsieur le futur Premier Ministre, traitez-nous de rêveurs, mais pendant ce temps, le cauchemar se concrétise. Le temps des demi-mesures est révolu : cessez de rêver, et sortez du pétrole.

Nous n’avons pas deux chances, le futur nous regarde.

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