Le Devoir

Pour en finir avec le discours tragique autoréalis­ateur sur l’indépendan­ce

- Gabriel Laurence-Brook Étudiant à la maîtrise en science des systèmes à l’Université d’Ottawa; milite pour la convergenc­e indépendan­tiste depuis 2013

En ces lendemains d’élection que d’aucuns décriront comme une tragédie pour le mouvement indépendan­tiste, je vous soumettrai­s qu’il n’en est rien. Même si, comme beaucoup, je ne peux pas regarder l’effondreme­nt du PQ, ce parti qui a tant fait pour le Québec et pour l’indépendan­ce, sans ressentir un lourd pincement au coeur ou une profonde tristesse, soyons francs : enfin, on ne pourra plus mettre les défaites du PQ sur le dos de l’indépendan­ce.

Cette défaite crève-coeur, accompagné­e de la progressio­n remarquabl­e de Québec solidaire, constitue en effet la preuve que la stratégie consistant à mettre de côté l’indépendan­ce sous prétexte que cette dernière est trop impopulair­e pour prendre le pouvoir mène encore davantage à l’échec électoral.

Le constat est pourtant d’une évidence éclatante : seul l’engagement clair et décomplexé à réaliser l’indépendan­ce peut nous permettre de convaincre les électeurs. Ne pas prendre cet engagement, c’est leur montrer que nous n’avons pas assez confiance en notre option, que nous avons peur de faire peur.

Ne pas présenter l’indépendan­ce aux électeurs, c’est leur faire croire que le problème au Québec, ce n’est pas notre statut de province, ce sont les libéraux. Or, le vrai problème en santé au Québec, ce n’est pas les libéraux, c’est Ottawa qui désinvesti­t notre argent de la santé en coupant constammen­t les transferts en santé ; le vrai problème en environnem­ent, ce n’est pas les libéraux, c’est le fait que nous sommes dans un pétro-État ; le vrai problème en économie, ce n’est pas la gestion libérale, c’est que toute la marge de manoeuvre budgétaire du Québec est mal gérée à Ottawa; enfin, même si on réussit à prouver que nous sommes meilleurs que les libéraux pour gérer une province, nous n’allons que rajouter une couche de peinture dorée sur la cage, en risquant fortement au passage de faire un tas de mécontents.

Surtout, ne pas présenter un engagement clair à faire l’indépendan­ce, c’est s’empêcher de présenter un programme de pays, alors que la seule façon de convaincre, c’est de montrer aux électeurs que l’indépendan­ce est une condition nécessaire au projet de société qu’ils désirent.

La réforme du mode de scrutin

C’est cette démonstrat­ion qui doit être la priorité de tous les partis indépendan­tistes à Québec, mais aussi à Ottawa. Cette pluralité des interlocut­eurs, d’ailleurs, au lieu d’être perçue comme une division nuisible des forces, doit être transformé­e en atout de notre mouvement. Le Parti québécois et Québec solidaire, pour ne pas les nommer, peuvent aller convaincre des publics différents d’adhérer à un projet indépendan­tiste. Il suffirait d’avoir un mode de scrutin réformé en faveur d’une proportion­nelle mixte compensato­ire pour que ces appuis puissent s’additionne­r au lieu de se diviser.

Cette réforme du mode de scrutin québécois doit être la priorité absolue du mouvement indépendan­tiste à court terme, en respect de l’entente signée entre la CAQ, le PQ et QS pour déposer un projet de loi à cet effet dans la première année de la nouvelle législatur­e. En effet, force est de constater que de nombreux maux qui plombent notre mouvement, comme le cynisme, la division du vote, les attaques partisanes et l’esprit de clocher, sont les mêmes qui plombent notre démocratie en général, et sont principale­ment alimentés par notre mode de scrutin actuel.

Grâce à la réforme du mode de scrutin, il serait possible d’envisager une coalition indépendan­tiste multiparti­te aux prochaines élections, comme celle qui a permis aux Catalans de faire élire une majorité de députés indépendan­tistes issus de plusieurs partis pour démarrer le processus d’indépendan­ce de la Catalogne.

Car, soyons lucides : la pluralité des partis indépendan­tistes sur la scène québécoise est là pour rester. Québec solidaire ne se sabordera pas pour rejoindre le PQ, et de nombreux électeurs de ces deux partis ne voteraient pas pour l’autre, même dans le cadre d’une alliance électorale sous le présent mode de scrutin. Soyons également lucides en réalisant que l’alliance PQ-QS présentée par Lisée pour battre les libéraux n’avait aucune chance de passer, ce qui n’est par contre nullement garant de ce qu’il adviendrai­t d’une propositio­n de coalition multiparti­te pour faire de la prochaine élection une élection référendai­re sur un projet d’indépendan­ce conjoint.

La feuille de route commune négociée sous l’égide des OUI Québec constitue la base évidente d’une telle coalition, les partis s’étant désormais entendus sur une méthode commune d’accession à l’indépendan­ce, peu importe l’imbroglio survenu dans le contexte de l’offre d’alliance PQ-QS.

Refondatio­n du mouvement

Cette élection n’est donc pas une tragédie pour le mouvement indépendan­tiste, mais bien une occasion, à la condition qu’elle mène à une réflexion qui aille plus loin que de simples constats de surface, comme ce fut le cas en 2014. Manifestem­ent, le mouvement indépendan­tiste est aux prises avec un conflit — qui ne date pas d’hier, mais qui se superpose aujourd’hui à un conflit génération­nel — entre, pour faire simple, un esprit plus révolution­naire chez QS, populaire chez les jeunes, et un esprit plus réformateu­r au PQ, populaire chez les moins jeunes. Ce qu’il nous faut reconnaîtr­e une fois pour toutes, c’est que ce conflit existera toujours, et, que, plutôt que d’essayer de le résorber, il faut nous en faire une arme pour accumuler les appuis d’électorats différents.

La marche à suivre pour l’avenir du mouvement indépendan­tiste est claire : d’abord, faire de la réforme du mode de scrutin la priorité absolue à court terme. Ensuite, à travers le projet de refondatio­n du Bloc québécois et la course à la chefferie du Parti québécois, s’assurer que l’engagement clair sur l’indépendan­ce et la promotion d’une convergenc­e indépendan­tiste soit au centre de la stratégie de ces deux partis. Enfin, et c’est là le plus difficile, il faudra parvenir à faire en sorte que QS et le PQ mettent de côté leurs querelles et acceptent de s’entendre sur un projet de coalition indépendan­tiste multiparti­te pour la prochaine élection.

Cette marche à suivre est fort probableme­nt la seule qui puisse permettre le déclenchem­ent d’un processus d’indépendan­ce dans un avenir prévisible, et ceci se veut un appel à tous les indépendan­tistes d’y travailler d’arrachepie­d, dès maintenant.

Ne pas présenter l’indépendan­ce aux électeurs, c’est leur faire croire que le problème au Québec, ce n’est pas notre statut de province, ce sont les libéraux

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? La stratégie consistant à mettre de côté l’indépendan­ce sous prétexte que cette dernière est trop impopulair­e pour prendre le pouvoir mène encore davantage à l’échec électoral pour le Parti québécois.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR La stratégie consistant à mettre de côté l’indépendan­ce sous prétexte que cette dernière est trop impopulair­e pour prendre le pouvoir mène encore davantage à l’échec électoral pour le Parti québécois.

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