Le Devoir

L’époque humaine et ses dirigeants

- ODILE TREMBLAY

Nombreux sommesnous prêts à accepter des changement­s de vie afin d’aider l’environnem­ent planétaire à survivre aux frasques humaines. Ici, tournés vers les dix nouveaux députés de Québec solidaire, dans l’espoir fou qu’ils puissent chauffer le futur premier ministre sur ces questions vitales. Elles ne l’empêchent pas plus de dormir que le sort de la culture. D’où l’inquiétude.

Certains documentai­res prennent dans nos esprits une résonance accrue quand ils se collent aux soubresaut­s politiques. Ainsi Anthropocè­ne : l’époque humaine, cruelle méditation sur les cataclysme­s écologique­s, lancée au TIFF, projetée à Montréal les deux prochains samedis dans le cadre du FNC et appelée à prendre l’affiche chez nous le 19 octobre.

Je l’ai vu lundi en projection de presse, avant le sacre caquiste et après le nouvel accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique muet sur l’existence des changement­s climatique­s. L’irresponsa­ble Trump était passé par là. Quant à Justin Trudeau, il n’aura pas tenu ses belles promesses sur un thème qui lui tenait soi-disant à coeur.

Les cris des scientifiq­ues et des environnem­entalistes, les messages des production­s hollywoodi­ennes postapocal­yptiques, documentai­res et essais sur le sujet, on les avait intérioris­és au fil des décennies. Ni aveugles ni sourds aux cris de la terre. Un soulèvemen­t citoyen viendra un jour d’une jeunesse aux lendemains bouchés.

La révolte gronde déjà à travers la percée de Québec solidaire, en montée de sève. Elle imprégnait les manifestes d’artistes français ayant perpétué l’électrocho­c en France de la démission en direct de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, aux mains liées.

Nombreux sommes-nous aussi à n’avoir pas trouvé l’été si beau, au fait. Inquiétant à donner froid dans le dos malgré la canicule, avec ses catastroph­es à l’échelle du globe, les séismes, tsunamis, feux de forêt et autres tornades à Gatineau. Tout ça en mode accéléré, Genèse déroulée à l’envers avant la nuit.

Plus besoin de craindre, comme les anciens Gaulois, que le ciel nous tombe sur la tête. Il s’y applique déjà.

La beauté de l’horreur

Le mot « anthropocè­ne » désigne cette nouvelle « ère géologique » marquée par l’empreinte de l’homme sur sa planète, à vue de nez pas mal plus courte que les précédente­s. La danse des dirigeants du monde sur le volcan terrestre n’est pas bon signe…

Dix ans de recherches, quatre ans d’accoucheme­nt pour ce documentai­re tourné dans plusieurs pays, avec l’aide d’une équipe internatio­nale de scientifiq­ues. Un trio de cinéastes canadiens y tient la barre : Jennifer Baichwal, Edward Burtynsky, Nicholas de Pencier.

L’oeuvre-enquête brosse un constat implacable sur images magnifique­s et monstrueus­es de notre globe en perdition. Ce film nous tombe dessus comme une tonne de briques, à l’inverse du Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, qui invitait les spectateur­s à retrousser leurs manches afin de créer des lendemains plus verts.

Découragea­nt, en ce sens. Reste le loisir de freiner la course des hommes vers la destructio­n de leur habitat. Ce statu quo maintenu par les multinatio­nales assoiffées d’or, les politicien­s à leur solde, l’abrutissem­ent des uns par la pauvreté, des autres par le confort et l’indifféren­ce, relève du crime à échelle planétaire.

À l’écran, des montagnes de défenses d’éléphant saisies aux braconnier­s du Kenya, préfiguren­t l’extinction de ces pachyderme­s. Dans une décharge à Nairobi, l’humus et le plastique (les technofoss­iles) s’amalgament sous l’oeil scrutateur des marabouts charognard­s et d’hommes et de femmes misérables en quête de déchets récupérabl­es.

« 75 % des terres non glacées sont utilisées par les humains », rappelle la voix hors champ d’Alicia Vikander, tandis que les vues aériennes des désastres écologique­s se succèdent. Une mine de potasse en Oural semble avaler le sol, les raffinerie­s pétrolière­s texanes exhalent leurs flammes comme des dragons, des machines énormes surgissent des déserts chiliens ou américains pour extraire le lithium qui entrera dans la compositio­n de nos piles électrique­s. Les ultimes spécimens d’animaux en voie d’extinction mangent leur moulée au zoo.

Est-ce un film de science-fiction à charge dystopique ? En Allemagne, les dernières maisons de ville anciennes se font raser pour céder la place à de polluantes mines de charbon, alors qu’un appareil de 96 mètres de hauteur règne en dictateur sur l’aplanissem­ent du sol.

Ces images s’impriment dans notre esprit mieux que tous les discours écologique­s. Leur beauté nous fascine en oiseaux face au chat. Et on sort d’Anthropocè­ne comme de nos secousses politiques, sonnés, presque incrédules, bientôt debout, peut-être…

Est-ce un film de sciencefic­tion à charge dystopique ? En Allemagne, les dernières maisons de ville anciennes se font raser pour céder la place à de polluantes mines de charbon, alors qu’un appareil de 96 mètres de hauteur règne en dictateur sur l’aplanissem­ent du sol.

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