Amours, délices, orgues et poésie. Sainte-Mélanie propose un premier festival culturel aux couleurs de l’automne.
La nuit des morts-vivants n’a fait que gagner en stature depuis sa sortie il y a 50 ans
Pris de haut par la critique en 1968, La nuit des
morts-vivants traumatisa un public hébété qui en redemanda pourtant, au point d’en faire l’une des productions indépendantes les plus lucratives de tous les temps. Depuis 50 ans, la reconnaissance envers le film n’a fait que croître.
Retranché dans la cave d’une ferme isolée, un groupe disparate d’individus est aux aguets. Dehors, les morts, mystérieusement ranimés, se repaissent des vivants. Immobiles dans la pénombre humide, ces hommes et ces femmes, étrangers contraints de cohabiter, attendent dans l’angoisse quelque plan, quelque secours. À terme, ils se révéleront aussi — sinon plus — dangereux les uns pour les autres que les hordes putrides qui battent la campagne. Lorsque La nuit des morts-vivants prit l’affiche dans les cinémas et ciné-parcs américains en octobre 1968, George A. Romero ne se doutait pas de la valeur sociopolitique qu’on accolerait à son premier film. Il n’avait d’autre ambition que celle d’un profit rapide. L’histoire en décida autrement. La nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead) ne perd pas de temps à instaurer un climat de terreur. Ainsi l’action démarre-t-elle dans un cimetière, avec une soeur et un frère, Barbara et Johnny, venus fleurir la tombe de leur mère. En arrière-plan, un homme titube dans leur direction. Il arbore un complet noir : un autre visiteur endeuillé, nul doute. Pendant qu’il se rapproche, lentement, Barbara et Johnny s’affairent distraitement. Soudain, l’inconnu attaque Barbara, puis tue Johnny.
Traumatisée, la jeune femme trouve refuge dans la ferme mentionnée, où la recueille Ben. En pleine stupeur, Barbara n’est qu’à demi-consciente de ce que Ben les barricade tous deux dans la maison désertée tandis que, de loin en loin, des silhouettes pâles émergent de la forêt. Bientôt, les deux survivants découvrent cachés au sous-sol un couple et sa fillette, qui a été mordue.
Les y rejoindront un autre couple, complétant un microcosme ayant inspiré maintes analyses depuis la sortie du film.
État des lieux
Les deux lectures les plus répandues voient dans La nuit des morts-vivants une métaphore de l’Amérique d’alors. L’une se rapporte au malaise engendré par la guerre du Vietnam, déjà latent à l’époque ; l’autre rend compte de l’animosité blanche face à la lutte pour les droits civiques portée par la parole de Martin Luther King.
Car il faut savoir que Ben, le héros du film, est noir. Et en ce temps-là, en dépit des avancées hollywoodiennes de Sidney Poitier, c’était encore une situation inusitée.
D’un pessimisme implacable ou d’une ironie furieuse, c’est selon, le film de George A. Romero tue un à un ses personnages, y compris Ben, sacrifié à la fin sur l’autel non pas du surnaturel, mais de la bien réelle bêtise humaine (Romero en était à chercher un distributeur pour son film lorsqu’il apprit l’assassinat de King).
Dans son analyse publiée en 2003 dans le Village Voice, Elliott Stein résume parfaitement ces enjeux sous-jacents : « [Le film] dégonfle tous les clichés du genre. Il a troqué les décors expressionnistes du film de peur traditionnel pour un style néoréaliste — l’utilisation par Romero de lieux réels et d’un noir et blanc granuleux donne à ce festival gore l’allure et l’impression d’un documentaire. Et il ne s’agissait pas de la Transylvanie, mais de la Pennsylvanie — c’était l’Amérique moyenne en guerre, et le carnage zombie s’apparentait à un écho grotesque du conflit qui faisait alors rage au Vietnam. Dans ce qui demeure le tout premier film d’horreur subversif, le héros noir débrouillard survit aux zombies pour mieux être abattu par un ramassis de rednecks, et une fillette grignote voracement le bras arraché de son père — la désillusion vis-à-vis du gouvernement et de la famille nucléaire patriarcale est totale. »
Distance rassurante
Pour le compte, La nuit des morts-vivants s’inscrit dans une longue tradition du cinéma d’horreur comme miroir sociétal. Dans un essai du New York Times de 2001 intitulé Horrors ! Time for an Attack of the Metaphors ? From Bug Movies to Bioterrorism, Rick Lyman explique : « Certaines terreurs sont trop difficiles à affronter directement, alors elles se manifestent sous les atours plus faciles à revêtir de la métaphore. Cela a été la visée cachée du cinéma d’horreur depuis le commencement, et c’est ce qui en a fait l’un des genres les plus pérennes. »
L’auteur évoque une expérience cathartique unique, à raison. En effet, l’épouvante possède ceci de particulier qu’elle permet d’affronter peurs et hantises, cela tout en maintenant une distance rassurante, fiction aidant.
Fait intéressant, et il s’agit là d’un sujet de discussion très populaire auprès des cinéphiles férus d’horreur, George A. Romero ne revendiqua lui-même jamais de telles velléités allégoriques pour son film, affirmant avoir choisi Duane Jones pour la seule raison qu’il était l’acteur ayant donné la meilleure audition pour le rôle de Ben.
La sincérité du cinéaste ne fait aucun doute. Il n’empêche, toute oeuvre est tributaire d’une part d’inconscient ; ou l’artiste comme éponge.
À l’épreuve du temps
Quoi qu’il en soit, Romero embrassa par la suite ouvertement l’idée de métaphore. En témoignent : Zombie — Le crépuscule des morts-vivants (Dawn of the Dead ; 1978), satire féroce du consumérisme où la ferme est remplacée par un centre d’achat ; Le jour des morts-vivants (Day of the Dead,
1986) et son bunker militaire sur fond de toute-puissance illusoire de l’ère Reagan ; La terre des morts (Land of the
Dead, 2005), ou la plèbe contre le 1 % alors que les survivants ordinaires maraudent désormais à l’instar des zombies tandis que les nantis s’accrochent à leurs privilèges, retranchés dans leur gratte-ciel.
À terme, presque malgré lui, George A. Romero accomplit il y a 50 ans un exploit auquel aspirent tous les cinéastes : créer une oeuvre à l’épreuve du temps.
Considérant la nature du film, avec tous ces trépassés qui refusent de mourir, c’est dans ce cas précis on ne peut plus approprié.
Dans ce qui demeure le tout premier film d’horreur subversif, le héros noir débrouillard survit aux zombies pour mieux être abattu par un ramassis de rednecks, et une fillette grignote voracement le bras arraché de son père
— la désillusion vis-à-vis du gouvernement et de la famille nucléaire patriarcale est totale ELLIOTT STEIN