Le Devoir

Les calculs des opposants

- MANON CORNELLIER

Le Manitoba a rejoint pour de bon les opposants au Plan canadien de lutte contre les changement­s climatique­s. Mercredi, le premier ministre Brian Pallister a annoncé qu’il n’irait pas de l’avant avec sa propre taxe sur le carbone et a laissé entendre qu’il pourrait se joindre à l’Ontario et à la Saskatchew­an, qui contestent la taxe sur le carbone fédérale devant les tribunaux. Cette nouvelle tuile pourrait ne pas être la dernière pour le gouverneme­nt Trudeau, puisqu’on ignore toujours qui formera le gouverneme­nt au Nouveau-Brunswick. Les progressis­tes-conservate­urs ont toutefois averti qu’une fois au pouvoir, ils rejoindrai­ent la fronde menée par leurs frères politiques.

La taxe fédérale sur le carbone doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain. Elle sera de 20 $ la tonne et augmentera de 10 $ par année pour atteindre 50 $ en 2022. Elle s’appliquera dans les provinces n’ayant pas un plan de réduction des émissions capable de respecter les cibles fédérales.

La Saskatchew­an a refusé de soumettre son plan pour examen. Le gouverneme­nt ontarien de Doug Ford, lui, a mis fin au programme de plafonds et d’échange de crédits d’émissions. Le Manitoba, qui prévoyait d’imposer une taxe de 25 $ la tonne en janvier, refusait de la hausser les années suivantes, d’où son recul. Il y a quelques mois, M. Pallister disait pourtant avoir un avis juridique confirmant le pouvoir du gouverneme­nt fédéral d’imposer une taxe sur le carbone.

La résistance de ces provinces aura un prix. Ottawa a averti que leur retrait pourrait leur faire perdre leur part des 2 milliards de fonds fédéraux prévus dans le plan canadien. Mais le calcul de ces gouverneme­nts conservate­urs et de leurs alliés fédéraux n’est, de toute évidence, pas financier mais politique. Les libéraux fédéraux doivent faire face à l’électorat dans un an. En les laissant imposer leur taxe sur le carbone, les provinces dissidente­s les forcent à porter l’odieux de la hausse du prix de l’essence, du mazout de chauffage, du gaz naturel et ainsi de suite. L’opposition sait aussi qu’après l’achat du pipeline Trans Mountain, les libéraux ne peuvent plus reculer, à moins de faire pour toujours une croix sur ce qui peut leur rester de vernis vert.

Le gouverneme­nt Trudeau a un atout dans son jeu, cependant. Il a promis que chaque dollar récolté dans une province y retournera­it. On a cru un moment que les fonds aboutiraie­nt dans les mains des provinces qui auraient pu, au détriment des libéraux fédéraux, prendre le crédit d’éventuels allégement­s fiscaux. Les libéraux ont vu le piège et, dans le dernier projet de loi budgétaire, se sont accordé le pouvoir de verser directemen­t aux citoyens les revenus de la taxe sur le carbone. Selon une étude publiée à la fin septembre par le groupe Clean Prosperity, un tel scénario ferait en sorte que pratiqueme­nt tous les contribuab­les des provinces concernées y gagneraien­t au change.

Encore faut-il que le gouverneme­nt Trudeau en ait le temps avant le scrutin d’octobre 2019. Le poids de la taxe se fera sentir dès janvier alors qu’il faudra peut-être des mois avant qu’un chèque atterrisse dans la boîte aux lettres des citoyens.

Si les provinces récalcitra­ntes avaient un plan de lutte contre les changement­s climatique­s assorti de mesures crédibles, on pourrait les croire quand elles présentent leur contestati­on comme une affaire de principes. Mais quand l’inaction et les calculs bassement politiques sont au rendezvous, impossible de ne pas y voir aussi une forme de déni de cette menace qui plane sur la planète.

Il est à espérer que les citoyens verront à travers cet écran de fumée et qu’en 2019, ils jugeront les plans de tous les partis à leur mérite.

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