Pitoyable sortie
Pour un homme qui souhaitait rester à l’écart de la politique et se concentrer sur son travail, Robert Lafrenière s’y est pris d’une curieuse façon pour quitter la direction de l’Unité permanente anticorruption (UPAC). On pardonnera aux lecteurs d’avoir raté ce « grand » moment. Le jour même où les yeux du Québec étaient rivés sur les élections, lundi, M. Lafrenière a annoncé sa démission, ne fournissant aucune explication. Ce faisant, il s’est placé dans une situation telle que son action sera interprétée comme une volonté de défier, voire de narguer le pouvoir, pour une dernière fois. Quel curieux baroud d’honneur pour conclure une carrière de plus de 25 ans à la Sûreté du Québec, au ministère de la Sécurité publique et à l’UPAC.
Le passage du temps est un révélateur impitoyable de la conduite de M. Lafrenière. Après ses succès du début dans la lutte contre la corruption et la collusion à Laval et dans d’autres municipalités en décadence, l’UPAC connaît un sérieux passage à vide. Le procès découlant de l’opération Faufil, impliquant l’ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal Frank Zampino et l’entrepreneur Paolo Catania, s’est soldé par des acquittements en série. La vaste enquête sur le financement illégal du Parti libéral du Québec (PLQ), le projet Machûrer, piétine depuis 2013.
Les fuites dans cette enquête avaient amené l’UPAC à tendre un traquenard au député libéral Guy Ouellette, en octobre 2017, alors qu’un enquêteur s’était fait passer pour l’une des sources du député afin de l’attirer hors de l’Assemblée nationale, en pleine étude d’un projet de loi sur l’indépendance de l’UPAC, et de procéder à son arrestation. C’est la même UPAC qui avait arrêté l’ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau le jour du dépôt du budget alors que planaient des rumeurs de renvoi de M. Lafrenière. La même UPAC qui avait rencontré Philippe Couillard le jour de son assermentation comme premier ministre. Il y a trop de coïncidences pour dissiper l’impression que M. Lafrenière jouait du coude avec le politique.
Pour en revenir à Guy Ouellette, il n’a été accusé d’aucun crime. Des documents obtenus par Le Devoir jettent de sérieux doutes sur les méthodes de l’UPAC, qui aurait possiblement enfreint la loi pour le piéger. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a décidé de ne pas contester la requête de M. Ouellette pour faire casser les mandats de perquisition le visant. C’est l’équivalent d’une gifle à l’UPAC pour son manque de rigueur.
Le successeur de Robert Lafrenière aura fort à faire pour redresser l’UPAC, un corps policier qui demeure nécessaire. Espérons qu’il sera choisi hors du giron des policiers de carrière qui ont évolué dans l’ombre du pouvoir politique. Il s’agissait là du principal défaut de Robert Lafrenière, avec le résultat que sa réputation et celle de l’UPAC sont aujourd’hui ternies.