Le Devoir

L’élection de la CAQ , la victoire du Québec moyen

- Youri Rivest*

L’élection du 1er octobre 2018 fut à bien des égards historique. Le relâchemen­t de la tension autour de la question nationale a permis à un nouveau parti de prendre le pouvoir, la CAQ, et à un autre, QS, d’émerger comme une force politique. Les deux partis qui se sont partagé le pouvoir depuis 50 ans sont à des creux historique­s.

Les observateu­rs de la scène politique québécoise, y compris des commentate­urs chevronnés, se perdent en conjecture­s pour expliquer ce vote. Mais il suffit d’analyser quelques données socio-démographi­ques pour comprendre que la CAQ l’a emporté en misant sur le Québec modéré.

Comment comprendre ces élections en cinq étapes faciles :

Étape 1 : Procurez-vous les données macro (big data) du recensemen­t de 2016.

Étape 2 : Triez les circonscri­ptions selon la proportion de la population non francophon­e. Vous observerez que 27 des 28 (ainsi que 29 des 34) circonscri­ptions ayant la plus forte proportion d’électeurs non francophon­es* sont allées au Parti libéral. Les exceptions s’expliquent ainsi :

Jean-Talon est la circonscri­ption où les évaluation­s foncières sont les plus élevées en dehors de l’île de Montréal. Roberval est la circonscri­ption du premier ministre sortant, tandis que l’élection dans Gaspé est contestée.

La conclusion : le vote du Parti libéral est essentiell­ement le fait des non-francophon­es et d’un niveau socio-économique très élevé. Il s’agit d’un vote qui s’éloigne sensibleme­nt du Québec moyen, constitué d’une majorité de francophon­es à revenu moyen.

Étape 3 : Enlevez les circonscri­ptions non francophon­es du PLQ et triez vos données en fonction de la proportion de locataires dans la circonscri­ption. Vous observerez que les 8 circonscri­ptions ayant la plus forte proportion de locataires sont allées à QS, de même que 9 des 10. L’exception étant Rouyn-Noranda– Témiscamin­gue. Ainsi, la proportion de locataires (dont beaucoup d’étudiants) explique presque entièremen­t le vote solidaire.

Étape 4 : Mettez les circonscri­ptions non francophon­es et/ou à forte proportion de locataires de côté, et jetez un coup d’oeil aux indicateur­s socio-économique­s. Le premier constat est que le vote péquiste est généraleme­nt caractéris­é par une très faible perspectiv­e socio-économique.

Trois des quatre circonscri­ptions où les transferts gouverneme­ntaux occupent une plus grande place dans le revenu des ménages sont péquistes, la quatrième étant Gaspé, où un dépouillem­ent judiciaire a lieu, peut-être au profit du Parti québécois. De plus, 8 des 19 circonscri­ptions où le taux d’emploi chez les hommes est le plus faible sont péquistes (9 sur 19 si Gaspé bascule vers le PQ). La seule circonscri­ption péquiste où les perspectiv­es socio-économique­s sont moins défavorabl­es est Marie-Victorin, où Catherine Fournier l’a emporté avec seulement deux points de pourcentag­e d’avance.

Étape 5 : Faites la liste des circonscri­ptions caquistes et vous constatere­z que ce sont des circonscri­ptions très diverses et très représenta­tives du Québec « moyen », c’està-dire ni très riche ni très pauvre, plutôt francophon­e et pas disproport­ionnelleme­nt locataire.

En conclusion, on peut affirmer que les trois partis d’opposition se sont marginalis­és par rapport au Québec moyen. Le Parti libéral est devenu essentiell­ement le parti des riches et surtout des non-francophon­es. Le Parti québécois est devenu le parti des électeurs qui dépendent le plus des transferts gouverneme­ntaux, tandis que Québec solidaire est le parti des locataires, souvent de jeunes étudiants.

La CAQ aura réussi de son côté à se brancher solidement sur le Québec moyen, ce qui a assuré sa victoire éclatante.

(*) Nous excluons les langues autochtone­s aux fins de l’analyse.

* L’auteur a été consultant au cours de la dernière campagne en tant qu’analyste stratégiqu­e de l’opinion publique pour la CAQ. Il était auparavant vice-président au sein de la maison de sondage CROP.

Newspapers in French

Newspapers from Canada