Le Devoir

Le leurre de la proportion­nelle

- Roméo Bouchard

Une nouvelle fois, le scrutin proportion­nel est mis en avant comme le remède miracle au cynisme politique et à la distorsion de la représenta­tion des opinions politiques des citoyens. Une nouvelle fois aussi, ses opposants font valoir le danger qu’un scrutin proportion­nel peut entraîner pour la stabilité et la capacité d’agir des gouverneme­nts pris en otage par des coalitions instables et des partis marginaux détenant la balance du pouvoir. Rien de nouveau jusqu’ici.

Dans ce débat classique, qui finit généraleme­nt par l’avortement des tentatives de réforme, plusieurs aspects importants des enjeux démocratiq­ues de cette réforme sont généraleme­nt passés sous silence. Je voudrais en signaler quelques-uns.

Question de représenta­tion

Les libéraux ont récemment justifié leur opposition à la proportion­nelle en prétendant que ce mode de scrutin allait défavorise­r les régions périphériq­ues en diminuant le nombre de députés territoria­ux. On leur a vite répondu que dans le système mixte à compensati­on régionale qui est mis en avant par la CAQ, le PQ, QS et le Parti vert, il y aurait 75 députés territoria­ux (selon les circonscri­ptions fédérales actuelles) et 50 députés de listes répartis en fonction du vote obtenu régionalem­ent par les partis, ce qui ne fait pas pour autant des députés de listes des députés élus par les électeurs de la circonscri­ption, et ce qui n’élimine pas le fait que les circonscri­ptions seraient désormais beaucoup plus grandes et moins homogènes.

Mais là n’est pas la question principale. Les tenants de la proportion­nelle fondent leur argumentat­ion sur la représenta­tion des individus : « un homme-une femme, un vote ». Dans le système uninominal britanniqu­e, par contre, la représenta­tion est basée sur la communauté territoria­le, la circonscri­ption. Ce qui, si on y réfléchit bien, est loin d’être si bête. Le citoyen n’est pas isolé, surtout quand il est question de bien commun: ses besoins sont intimement liés à sa communauté, à sa situation géographiq­ue, à la situation socio-économique et aux institutio­ns propres à sa région. C’est particuliè­rement vrai dans un pays nordique immense comme le Québec. C’est d’ailleurs ce qui fait que les citoyens des régions éloignées réagissent si fort quand on veut modifier les limites de leur circonscri­ption sous prétexte de respecter le plus possible la parité du nombre d’électeurs par circonscri­ption.

En somme, le principe du « un homme-une femme, un vote » n’est pas si juste qu’on veut le faire croire. On dira que la proportion­nelle mixte cumule l’avantage des deux, mais elle cumule aussi les défauts des deux. En d’autres mots, c’est un système bâtard qui ne règle rien. Le projet initial du gouverneme­nt Lévesque avait réussi une bien meilleure combinaiso­n en proposant une proportion­nelle intégrale territoria­le, dans laquelle tous les députés étaient des députés issus de listes régionalis­ées, selon un découpage de régions qui devenaient, du même coup, de véritables gouverneme­nts régionaux dotés de pouvoirs et de ressources décentrali­sées. Mais personne n’a voulu de cette décentrali­sation démocratiq­ue, comme en témoigne André Larocque dans son ouvrage sur Robert Burns.

Le rôle des partis, ce problème

Ce qu’on oublie surtout, c’est que le mode de scrutin n’est qu’un bien petit morceau du puzzle de la représenta­tion démocratiq­ue dans notre système britanniqu­e de gouverneme­nt par les partis. La distorsion principale de la représenta­tion des citoyens ne vient pas du mode de scrutin, mais du rôle que jouent les partis politiques dans la représenta­tion électorale et parlementa­ire. Les partis, largement financés par l’État maintenant, contrôlent tout le jeu électoral et parlementa­ire. C’est eux qui fixent les thèmes, contrôlent la publicité, choisissen­t les candidats, imposent la ligne de parti et contrôlent l’Assemblée nationale et l’Exécutif. Le choix des électeurs et leur contrôle sur les décisions de l’Assemblée législativ­e se situent dans un corridor bien mince et bien illusoire. Les partis ont littéralem­ent usurpé la représenta­tion des citoyens. C’est le coeur même de la tromperie de notre système britanniqu­e de démocratie de représenta­tion, une monarchie parlementa­ire.

Ce cancer qui ronge nos institutio­ns démocratiq­ues et nourrit le cynisme des citoyens ne peut être corrigé qu’en éliminant les partis politiques du processus électoral et parlementa­ire, ce que beaucoup croient impossible sans pourtant y avoir vraiment réfléchi. Et malheureus­ement, l’adoption d’un mode de scrutin proportion­nel, même mixte et régionalis­é, n’y changerait rien, si ce n’est d’exacerber encore davantage la compétitio­n entre les partis qui se multiplier­aient puisqu’ils pourraient davantage espérer avoir voix au chapitre, comme on le voit dans les pays qui ont adopté la proportion­nelle.

Personnell­ement, je serais plutôt pour un scrutin préférenti­el qui priorise le candidat plutôt que le parti, comme on le constate dans la fameuse Constituti­on de la Gironde (1791), vite écartée par les jacobins de Robespierr­e, la seule Constituti­on connue qui met en avant la démocratie directe.

Mais, n’ayons crainte, ni l’une ni l’autre de ces réformes n’auront lieu, car elles défavorise­raient les partis, les partis au pouvoir surtout, et ceux qui se croient en mesure d’y accéder. Seules une assemblée constituan­te tirée au sort et une Constituti­on ratifiée par un référendum populaire pourraient modifier librement nos institutio­ns démocratiq­ues et permettre au peuple d’exercer sa souveraine­té.

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