Le Devoir

La France veut éviter que Trudeau perde la face

Les tractation­s se multiplien­t à quelques jours de l’élection de la secrétaire générale de l’OIF

- CHRISTIAN RIOUX

Àune semaine du XVIIe sommet de la Francophon­ie qui se tiendra à Erevan, en Arménie, les tractation­s s’intensifie­nt pour éviter un affronteme­nt brutal entre la secrétaire générale actuelle, la Canadienne Michaëlle Jean, et sa rivale, la Rwandaise Louise Mushikiwab­o.

Alors que la première souhaite la reconducti­on de son mandat à la tête de l’Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie (OIF), qui regroupe 58 États et gouverneme­nts membres, la seconde a le soutien de la France et de l’Organisati­on de l’Unité africaine (OUA). Ce qui réduit les chances de Michaëlle Jean à une peau de chagrin, estiment la plupart des observateu­rs.

Pour éviter que le premier ministre canadien, Justin Trudeau, perde la face à Erevan, en voyant sa candidate battue, la France a multiplié depuis quelques semaines les démarches diplomatiq­ues. Le Devoir a notamment appris que le Quai d’Orsay avait proposé au premier ministre canadien de soutenir certains de ses dossiers à l’ONU en échange du retrait de la candidatur­e de Michaëlle Jean.

Selon une source diplomatiq­ue, « les Français veulent vraiment éviter un clash à Erevan et, surtout, que Trudeau perde la face». Ce qui ne serait pas dans l’intérêt du président Emmanuel Macron.

Une propositio­n à laquelle auraient été étroitemen­t associées Kareen Rispal, ambassadri­ce de la France à Ottawa, et Isabelle Hudon, ambassadri­ce du Canada en France, serait sur le bureau du premier ministre canadien, qui doit se rendre à Erevan dès la semaine prochaine.

Michaëlle Jean perd le Québec

Les Français, qui ont fait connaître leur soutien à Louise Mushikiwab­o au printemps, souhaitent, selon nos sources, préserver la tradition qui veut que le secrétaire de l’OIF soit normalemen­t choisi par consensus plutôt que par un vote formel. Les soutiens de Michaëlle Jean semblent d’autant plus minces que, depuis l’élection du 1er octobre, l’ancienne gouverneur­e générale du Canada a perdu le soutien que lui a toujours offert, du moins publiqueme­nt, le premier ministre Philippe Couillard.

La position de son successeur, François Legault, apparaît beaucoup plus réservée, pour l’instant du moins. S’il a affirmé en campagne qu’il « réservait sa décision », il ne s’est jamais gêné pour critiquer les dépenses considérab­les de Michaëlle Jean et son peu de transparen­ce révélés par la presse québécoise. À Erevan, le nouveau premier ministre pourrait être tenté de ne pas amorcer son mandat par un affronteme­nt avec la France.

La voix du Québec

Or, la voix du Québec pèse d’un véritable poids dans l’OIF. Il y a quatre ans, il n’est pas sûr que Michaëlle Jean aurait pu être élue à Dakar sans le soutien, alors indéfectib­le, du Québec et de sa ministre des Relations internatio­nales Christine Saint-Pierre. À l’époque, les Africains étaient aussi divisés, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Ces derniers mois, pendant que Michaëlle Jean était souvent retenue par ses fonctions à Paris, sa rivale ne s’est pas gênée pour sillonner le monde francophon­e.

Les deux femmes ont profité de l’Assemblée générale des Nations unies tenue la semaine dernière à New York pour mesurer leurs appuis. Pendant que Louise Mushikiwab­o multipliai­t les rencontres, un cocktail organisé par la secrétaire générale de l’OIF n’a attiré que trois ministres africains.

« Plusieurs dirigeants africains espèrent un forfait du Canada», écrivait l’hebdomadai­re Jeune Afrique.

La semaine dernière, la Rwandaise a aussi obtenu le soutien du président du Gabon, Ali Bongo Ondimba, président de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC).

En juin, Louise Mushikiwab­o avait été photograph­iée en compagnie du très estimé Abdou Diouf, dont l’autorité et le prestige comme secrétaire de l’OIF (de 2003 à 2015) ont dépassé ceux de tous ses prédécesse­urs. Le message n’a pas pu échapper aux leaders africains.

Recentrer l’OIF ?

Ce qui ne veut pas dire que la candidatur­e rwandaise fait l’unanimité. Certains n’y voient toujours qu’une stratégie de la France pour se réconcilie­r avec le Rwanda.

D’autres, comme l’ancien ministre français de la Francophon­ie Pierre-André Wiltzer, s’inquiètent du caractère anglophile et peu démocratiq­ue du Rwanda. Quoi qu’il en soit, « la pente semble impossible à remonter pour Michaëlle Jean », nous confie un diplomate. Dans certains cercles, la rumeur court même d’une éventuelle nomination à l’ONU pour sauver la face.

À quelques jours du Sommet d’Erevan, Michaëlle Jean se montre pourtant toujours pugnace. En entrevue avec Jeune Afrique, elle semblait même viser indirectem­ent la France et son président en affirmant, au sujet de l’OIF : « Nous ne sommes pas une alliance française ! »

La secrétaire générale se dit notamment en désaccord avec la volonté de certains, dont celle présumée d’Emmanuel Macron, de recentrer les missions de l’OIF sur la promotion de la langue française. Une volonté souvent exprimée aussi par les représenta­nts québécois.

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SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE Justin Trudeau s’est rendu à la rencontre de Michaëlle Jean au siège social de l’OIF à Paris en avril dernier.

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