Le Devoir

Esa-Pekka Salonen, le chef puriste

- CHRISTOPHE HUSS Esa-Pekka Salonen

Les éditeurs de disques tendent à mettre en coffret le legs intégral de leurs artistes. La boîte des enregistre­ments du chef Esa-Pekka Salonen pour Sony n’est pas comme les autres. The Complete Sony Recordings. 61 cd 8898547184­2. Esa-Pekka Salonen a 60 ans. Et pourtant, je me souviens de ses débuts, de ce premier disque, chez Philips avec l’Ouverture 1812 de Tchaïkovsk­i et les Danses polovstsie­nnes de Borodine. C’était en 1984. Le chef avait un visage poupin et 26 ans. EsaPekka Salonen, l’artiste médiatique est né en même temps que le CD. Le parcours qu’ils firent ensemble fut admirable.

Lorsque je traçais, en août 2017 dans le cahier Perspectiv­es du Devoir, le portrait-robot du futur chef idéal de l’OSM, il correspond­ait trait pour trait à ce Finlandais épris de cinéma et de nouvelles technologi­es. Mais Salonen était au départ un compositeu­r et il préfère désormais se consacrer à son métier qu’à un orchestre.

Ancré dans le XXe siècle

CBS-Columbia, qui bâtissait son catalogue de disques compacts, s’est vite empressé de ravir le surdoué à Philips, lui faisant enregistre­r dès le milieu des années 1980 quelques Sibelius, et le plus important de Nielsen et Stravinski. Force est de constater que trente ans plus tard ces enregistre­ments demeurent parmi les meilleurs de ce que l’ère numérique et la « jeune génération » nous ont apporté. Le style musical de Salonen est connu : une grande limpidité, une rythmique acérée qui rendent son Stravinski et son Bartók si remarquabl­es. Mais il ajoute à cela une parcelle d’humanité que d’autres chefs analytique­s n’ont pas. Une vidéo où on le voit submergé par l’émotion en dirigeant la 2e symphonie de Sibelius en 1992 a fait le tour du monde.

Lorsque Sony a racheté Columbia, Salonen a confirmé son statut de « Monsieur XXe siècle » du catalogue, enregistra­nt Bartók, Debussy, Lutoslawsk­i, Ligeti et accompagna­nt Yefim Bronfman dans Prokofiev, Chostakovi­tch ou Rachmanino­v.

Ce coffret permet donc d’échapper à Beethoven, Brahms et Tchaïkovsk­i et de doper sa collection de classiques du XXe siècle, y compris Messiaen (versions de référence des Canyons

aux étoiles et de Couleurs de la cité céleste) et des enregistre­ments oubliés (Il Prigionier­o de Dallapicco­la, un superbe CD Lindberg, un Hindemith, Château de l’âme de Saariaho).

On réservera une place spéciale à des CD particuliè­rement spectacula­ires : le plus beau CD de transcript­ions de Bach avec celui d’Ozawa, le programme Bernard Herrmann, le CD Silvestre Revueltas, avec Sensemaya, et ce bijou de Nordic Festival, au programme subtil et parfait. On ajoutera à cela que l’équipe de technicien­s du son qui accompagna­it le chef était à sa hauteur.

Après l’épopée Sony (le dernier enregistre­ment date de 2001), Salonen est retourné chez DG pour trois disques et quelques enregistre­ments de concerts disponible­s en télécharge­ment. Il est demeuré chef du Philharmon­ique de Los Angeles jusqu’en 2009 avant de se replier à Londres, d’où nous arrivent épisodique­ment, sur étiquette Signum, quelques concerts avec le Philharmon­ia Orchestra.

L’héritage Sony est donc ce que Salonen nous laisse de plus prémédité et représenta­tif de son art. Le mélomane serait avisé de surveiller les évolutions de prix de cette boîte. Elle se trouve actuelleme­nt à un peu moins de trois dollars le CD, ce qui est à la fois une mise de fonds et une forme d’aubaine…

Ce coffret permet […] de doper sa collection de classiques du XXe siècle

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