Le Devoir

Les méthodes commercial­es de Donald Trump risquent de lui éclater au visage

Donald Trump pense avoir trouvé la recette infaillibl­e pour renforcer son économie. Mais la recette n’a rien d’infaillibl­e et risque de nuire à la situation bien plus que de l’améliorer.

- ÉRIC DESROSIERS

Entouré de sa garde rapprochée, convaincue tout comme lui que le commerce internatio­nal est, au mieux, un mal nécessaire, mais surtout un jeu à somme nulle où le gagnant est celui qui vend plus qu’il n’achète et où les autres sont des pigeons, Donald Trump est débarqué lundi en triomphate­ur dans le décor délicat et enchanteur de la roseraie de la Maison-Blanche. Autant l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pouvait être, dans sa bouche, l’un des pires « désastres » à avoir frappé l’économie américaine, autant l’Accord États-Unis–Mexique– Canada (AEUMC), dévoilé lundi et censé le remplacer, serait « une nouvelle historique pour notre nation et même pour le monde entier ».

Un tel succès n’aurait pas été possible s’ils n’avaient pas frappé leurs deux voisins de tarifs douaniers, notamment dans l’acier et l’aluminium, a martelé le président à l’intention de ces « pleurnicha­rds » au pays qui n’arrêtent pas de lui reprocher ses méthodes « musclées ». Parfois, la simple menace de recourir à de telles sanctions, notamment dans l’auto, fait suffisamme­nt peur pour produire le même effet. « Les tarifs sont si puissants que ça ! » s’est-il émerveillé. Et ce n’est pas tout, avait-il fait valoir précédemme­nt. Pendant que vous laissez vos tarifs faire leur travail de sape chez l’adversaire, vous empochez les revenus supplément­aires aux douanes.

Aussi, tous ces autres pays qui «abusent» actuelleme­nt du «privilège de faire commerce avec les États-Unis » doivent-ils s’attendre à goûter à la médecine tarifaire américaine, a prévenu Donald Trump. Il a explicitem­ent visé l’Union européenne, «qui a été très dure avec les États-Unis » ; le Japon, « qui sait qu’il devra faire des concession­s»; l’Inde «la reine des tarifs douaniers » ; le Brésil, qui « est le pompon [tant] il nous fait payer ce qu’il veut»; et bien évidemment, la Chine, dont 250 milliards d’exportatio­ns sont déjà sous le coup de tarifs douaniers et que Washington entend laisser patienter un peu avant de se rasseoir avec elle pour négocier tout en faisant planer la menace de nouvelles sanctions commercial­es sur une autre tranche de 267 milliards d’exportatio­ns.

Question de poids

Mais la Chine n’est pas le Mexique ni le Canada, a fait remarquer cette semaine le chroniqueu­r du Financial Times, Martin Wolf. Les États-Unis ont beau jeu de faire dans l’intimidati­on économique contre le Canada, dont les exportatio­ns vers le marché américain compte pour presque un cinquième (19%) de son économie, alors que ses propres exportatio­ns vers le Canade ne représente­nt que 1,5 % du PIB américain. En Chine, les exportatio­ns vers les États-Unis ne représente­nt que 4,1 % de l’économie, contre 0,7 % dans le sens inverse, et certaines d’entre elles pourront facilement trouver preneurs ailleurs si les barrières commercial­es américaine­s se font trop hautes. Pékin peut donc plus facilement tenir tête à Washington qu’à Ottawa.

Dans ce contexte, poursuit Martin Wolf, Donald Trump aurait beaucoup plus d’influence sur Pékin si, au lieu de lui faire la guerre commercial­e, il s’alliait aux autres économies développée­s qui partagent plusieurs de ses récriminat­ions contre les pratiques chinoises. Mais s’il continue, au contraire, de s’enfoncer dans son escalade tarifaire tous azimuts, il trouvera face à lui une puissance économique trois fois plus importante que les États-Unis, c’està-dire le reste du monde.

Donald Trump ferait mieux de regarder par deux fois son prétendu succès de l’AEUMC, a réagi cette semaine The

Economist. Selon la revue britanniqu­e, le président a tout au mieux «résolu une crise qu’il avait lui-même créée ». Cependant, « bien que la nouvelle entente contienne des améliorati­ons par rapport à l’ALENA, elle constitue globalemen­t un recul pour le libre-échange et nuira, par conséquent, aux ÉtatsUnis ». On en veut notamment contre les nouvelles règles imposées à l’industrie de l’auto afin qu’elle utilise moins de contenu étranger et qu’elle fasse moins appel aux travailleu­rs mexicains, dont les salaires sont jusqu’à sept fois inférieurs au seuil minimum de 16$ l’heure. Cela, estime-t-on, ne contribuer­a qu’à plomber la compétitiv­ité de l’industrie nord-américaine face à ses concurrent­s européens et asiatiques.

On en veut aussi contre cette idée d’une limite de 16 ans à l’entente, qu’il faudra sans cesse repousser. Bien que moins absurde que la limite de cinq ans que réclamait initialeme­nt Washington, cela laissera quand même une part d’incertitud­e dont les entreprise­s se seraient bien passées, sans parler de la valeur que l’on peut accorder à la signature d’un président qui a déjà déchiré plus d’un contrat conclu par son pays.

Le Canada, de son côté, avait moins l’esprit à la fête que son voisin cette semaine. Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a quand même déclaré lundi que c’était «une belle journée pour le Canada», notamment parce que la nouvelle entente permettait « de préserver les parties les plus importante­s de l’ALENA ».

Le pays est resté secoué par la violence de son voisin américain, tant en matière commercial­e que dans le type de relation générale entretenue depuis l’élection de Donald Trump. À seulement 39 %, la proportion de Canadiens entretenan­t une opinion favorable sur les États-Unis n’a jamais été aussi faible depuis que le Pew Research Center a commencé à poser la question en 2002, a rapporté cette semaine le Globe and

Mail. « Cela a été un choc profond pour les Canadiens, y observait la directrice de la Munk School of Global Affairs de l’Université de Toronto, Janice Stein. Nous devrons utiliser les 16 ans que nous donne l’entente pour diversifie­r notre commerce afin de prendre de la distance des États-Unis. »

En attendant, le Canada est toujours la cible des tarifs américains dans l’acier et l’aluminium en dépit de l’entente conclue avec Washington dimanche soir. Le nouvel accord devrait théoriquem­ent le mettre à l’abri d’éventuels tarifs dans l’auto, mais ne lui accorderai­t qu’une période de grâce de 60 jours si l’envie venait au président américain d’imposer d’autres sortes de tarifs.

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MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE Donald Trump ferait mieux de regarder par deux fois son prétendu succès de l’AEUMC, a réagi cette semaine Selon la revue britanniqu­e, il a tout au mieux « résolu une crise qu’il avait lui-même créée ».

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