Les méthodes commerciales de Donald Trump risquent de lui éclater au visage
Donald Trump pense avoir trouvé la recette infaillible pour renforcer son économie. Mais la recette n’a rien d’infaillible et risque de nuire à la situation bien plus que de l’améliorer.
Entouré de sa garde rapprochée, convaincue tout comme lui que le commerce international est, au mieux, un mal nécessaire, mais surtout un jeu à somme nulle où le gagnant est celui qui vend plus qu’il n’achète et où les autres sont des pigeons, Donald Trump est débarqué lundi en triomphateur dans le décor délicat et enchanteur de la roseraie de la Maison-Blanche. Autant l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pouvait être, dans sa bouche, l’un des pires « désastres » à avoir frappé l’économie américaine, autant l’Accord États-Unis–Mexique– Canada (AEUMC), dévoilé lundi et censé le remplacer, serait « une nouvelle historique pour notre nation et même pour le monde entier ».
Un tel succès n’aurait pas été possible s’ils n’avaient pas frappé leurs deux voisins de tarifs douaniers, notamment dans l’acier et l’aluminium, a martelé le président à l’intention de ces « pleurnichards » au pays qui n’arrêtent pas de lui reprocher ses méthodes « musclées ». Parfois, la simple menace de recourir à de telles sanctions, notamment dans l’auto, fait suffisamment peur pour produire le même effet. « Les tarifs sont si puissants que ça ! » s’est-il émerveillé. Et ce n’est pas tout, avait-il fait valoir précédemment. Pendant que vous laissez vos tarifs faire leur travail de sape chez l’adversaire, vous empochez les revenus supplémentaires aux douanes.
Aussi, tous ces autres pays qui «abusent» actuellement du «privilège de faire commerce avec les États-Unis » doivent-ils s’attendre à goûter à la médecine tarifaire américaine, a prévenu Donald Trump. Il a explicitement visé l’Union européenne, «qui a été très dure avec les États-Unis » ; le Japon, « qui sait qu’il devra faire des concessions»; l’Inde «la reine des tarifs douaniers » ; le Brésil, qui « est le pompon [tant] il nous fait payer ce qu’il veut»; et bien évidemment, la Chine, dont 250 milliards d’exportations sont déjà sous le coup de tarifs douaniers et que Washington entend laisser patienter un peu avant de se rasseoir avec elle pour négocier tout en faisant planer la menace de nouvelles sanctions commerciales sur une autre tranche de 267 milliards d’exportations.
Question de poids
Mais la Chine n’est pas le Mexique ni le Canada, a fait remarquer cette semaine le chroniqueur du Financial Times, Martin Wolf. Les États-Unis ont beau jeu de faire dans l’intimidation économique contre le Canada, dont les exportations vers le marché américain compte pour presque un cinquième (19%) de son économie, alors que ses propres exportations vers le Canade ne représentent que 1,5 % du PIB américain. En Chine, les exportations vers les États-Unis ne représentent que 4,1 % de l’économie, contre 0,7 % dans le sens inverse, et certaines d’entre elles pourront facilement trouver preneurs ailleurs si les barrières commerciales américaines se font trop hautes. Pékin peut donc plus facilement tenir tête à Washington qu’à Ottawa.
Dans ce contexte, poursuit Martin Wolf, Donald Trump aurait beaucoup plus d’influence sur Pékin si, au lieu de lui faire la guerre commerciale, il s’alliait aux autres économies développées qui partagent plusieurs de ses récriminations contre les pratiques chinoises. Mais s’il continue, au contraire, de s’enfoncer dans son escalade tarifaire tous azimuts, il trouvera face à lui une puissance économique trois fois plus importante que les États-Unis, c’està-dire le reste du monde.
Donald Trump ferait mieux de regarder par deux fois son prétendu succès de l’AEUMC, a réagi cette semaine The
Economist. Selon la revue britannique, le président a tout au mieux «résolu une crise qu’il avait lui-même créée ». Cependant, « bien que la nouvelle entente contienne des améliorations par rapport à l’ALENA, elle constitue globalement un recul pour le libre-échange et nuira, par conséquent, aux ÉtatsUnis ». On en veut notamment contre les nouvelles règles imposées à l’industrie de l’auto afin qu’elle utilise moins de contenu étranger et qu’elle fasse moins appel aux travailleurs mexicains, dont les salaires sont jusqu’à sept fois inférieurs au seuil minimum de 16$ l’heure. Cela, estime-t-on, ne contribuera qu’à plomber la compétitivité de l’industrie nord-américaine face à ses concurrents européens et asiatiques.
On en veut aussi contre cette idée d’une limite de 16 ans à l’entente, qu’il faudra sans cesse repousser. Bien que moins absurde que la limite de cinq ans que réclamait initialement Washington, cela laissera quand même une part d’incertitude dont les entreprises se seraient bien passées, sans parler de la valeur que l’on peut accorder à la signature d’un président qui a déjà déchiré plus d’un contrat conclu par son pays.
Le Canada, de son côté, avait moins l’esprit à la fête que son voisin cette semaine. Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a quand même déclaré lundi que c’était «une belle journée pour le Canada», notamment parce que la nouvelle entente permettait « de préserver les parties les plus importantes de l’ALENA ».
Le pays est resté secoué par la violence de son voisin américain, tant en matière commerciale que dans le type de relation générale entretenue depuis l’élection de Donald Trump. À seulement 39 %, la proportion de Canadiens entretenant une opinion favorable sur les États-Unis n’a jamais été aussi faible depuis que le Pew Research Center a commencé à poser la question en 2002, a rapporté cette semaine le Globe and
Mail. « Cela a été un choc profond pour les Canadiens, y observait la directrice de la Munk School of Global Affairs de l’Université de Toronto, Janice Stein. Nous devrons utiliser les 16 ans que nous donne l’entente pour diversifier notre commerce afin de prendre de la distance des États-Unis. »
En attendant, le Canada est toujours la cible des tarifs américains dans l’acier et l’aluminium en dépit de l’entente conclue avec Washington dimanche soir. Le nouvel accord devrait théoriquement le mettre à l’abri d’éventuels tarifs dans l’auto, mais ne lui accorderait qu’une période de grâce de 60 jours si l’envie venait au président américain d’imposer d’autres sortes de tarifs.