Le Devoir

Perdre par conviction

- ROBERT DUTRISAC

Le verdict a été sans appel pour Philippe Couillard. Pourtant, le Québec se retrouve dans une situation avantageus­e sur le plan des finances publiques, du jamais vu depuis 40 ans, et son gouverneme­nt avait commencé à délier ses goussets pour injecter des sommes en éducation et en santé. L’économie est vigoureuse et le taux de chômage est descendu au-dessous de la moyenne canadienne. Malgré tout, les électeurs lui ont montré la porte sans ménagement et le Parti libéral du Québec, avec son pire score quant au pourcentag­e des voix recueillie­s depuis sa fondation il y a 150 ans, en est quitte pour un sérieux examen de conscience.

La plus grande réalisatio­n du gouverneme­nt Couillard, c’est sans nul doute le redresseme­nt des finances publiques, un redresseme­nt durable qui tiendra à moins que le Québec soit plongé dans une récession, ce qui n’est pas à écarter à moyen terme. Sa plus grande réalisatio­n, mais aussi un de ses principaux écueils.

À son arrivée au pouvoir, le premier ministre avait déclaré que son plan de redresseme­nt épargnerai­t les services destinés aux plus vulnérable­s. Or dans son rapport annuel en 2016, la protectric­e du citoyen, Raymonde Saint-Germain, constatait que la bureaucrat­ie avait moins souffert que les personnes vulnérable­s des compressio­ns, des critiques que Philippe Couillard avait balayées du revers de la main. « Ce n’est que du vent, ça ne veut rien dire pour la population », avait-il répliqué, trahissant son insensibil­ité.

Comme le soutient l’économiste Pierre Fortin dans l’ouvrage collectif Bilan du gouverneme­nt de Philippe Couillard. 158 promesses et un mandat contrasté, le gouverneme­nt libéral a appliqué la méthode du « stop and go »: dans les deux premières années du mandat, des mesures d’austérité — un mélange de réduction des dépenses et d’alourdisse­ment des charges pour les contribuab­les (relèvement des tarifs d’électricit­é et de garderie, hausses de diverses taxes) — qui ont contribué à ralentir la croissance économique puis, dans les deux dernières années, relance des dépenses et allégement de la pression fiscale, qui ont eu l’effet inverse. Compte tenu des perturbati­ons infligées aux services publics, il est clair, à nos yeux, que le gouverneme­nt Couillard y est allé trop fort, trop vite.

Parallèlem­ent aux compressio­ns, Philippe Couillard a maintenu la hausse pharaoniqu­e de la rémunérati­on des médecins, des milliards qui auraient dû servir à améliorer les services de santé pour les personnes âgées, principale­ment. S’il importe que le Québec demeure la société la plus équitable d’Amérique, comme le chef libéral l’a souligné dans sa déclaratio­n confirmant sa démission jeudi, il n’y avait rien d’équitable à enrichir des privilégié­s parmi les privilégié­s et à aggraver ainsi les inégalités de revenus.

Il faut dire que Philippe Couillard a été sanctionné aussi pour une raison qu’il ne contrôlait pas : l’usure du pouvoir. Le fait qu’il s’agissait de son premier mandat n’a pas fait oublier que le Parti libéral, outre l’intermède du gouverneme­nt Marois, a eu « les mains sur le volant » pendant 15 longues années, un parti impliqué dans le plus grand scandale de corruption du Québec moderne. Dans notre système démocratiq­ue, l’alternance est une vertu.

Mais cette défaite historique a une autre origine : l’incapacité de Philippe Couillard à comprendre l’insécurité culturelle des Québécois. Jeudi, le chef libéral en a remis : « La majorité n’a pas tous les droits, et ceux qu’elle exerce doivent être compensés par la protection de ceux des minorités », a-t-il dit, exprimant sa conviction profonde.

Fortement influencé par le communauta­risme, fondement du multicultu­ralisme canadien, Philippe Couillard ne voit dans le « vivre-ensemble » au Québec qu’une lutte entre une majorité francophon­e, qui chercherai­t à imposer ses vues, et des minorités brimées.

Or, l’objectif ultime de ce « vivre-ensemble », surtout pour le peuple québécois — minoritair­e lui-même au Canada, rappelons-le —, c’est que les minorités rallient éventuelle­ment la majorité francophon­e, en l’influençan­t certes, et que les distinctio­ns, qu’on aurait tort d’exacerber, cèdent le pas à l’égalité entre les citoyens.

À l’heure où les libéraux, encore sonnés par la dégelée qu’ils ont encaissée, parlent de se « reconnecte­r » avec la majorité francophon­e, Philippe Couillard leur lance un autre message : « Tenter d’imiter nos adversaire­s ne nous conduira pas à la victoire ». Il y a donc au Québec le Parti libéral, défenseur des libertés « fragiles » — c’est son mot —, et les autres partis, chauvins et liberticid­es. Si elle s’inspire d’une telle analyse manichéenn­e, la reconnexio­n libérale ne se produira pas de sitôt.

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