Le Devoir

Mille fois sur le métier

Bradley Cooper et Lady Gaga font des étincelles dans une variation inédite de l’air connu d’Une étoile est née

- FRANÇOIS LÉVESQUE

L’argument principal d’Une étoile est née est tellement entré profondéme­nt dans l’inconscien­t collectif qu’il a depuis longtemps pris valeur de motif. Un homme mûr rencontre une jeune femme: il est acteur ou chanteur (ou autre chose) et sa gloire d’antan n’est plus qu’un souvenir qui se délite, tandis que sa popularité à elle ne fait que croître. Grosso modo. La version de 2018 est la quatrième «officielle» après celles de 1937, 1954 et 1976, quoiqu’il existe nombre de succédanés officieux. Si bien qu’on exagère à peine en disant qu’il s’agit d’une histoire mille fois racontée. Le comédien Bradley Cooper s’y est pourtant attelé pour sa première réalisatio­n.

Cooper incarne Jackson Maine, une icône country-rock qui remplit encore les stades, mais de fans friands de ses vieux succès et non de ce qu’il pourrait avoir de neuf à proposer. Alcoolique, toxicomane et atteint de dégénéresc­ence auditive, Jackson se laisse déjà couler lentement mais sûrement, avec une indifféren­ce bravache, lorsqu’on le rencontre.

Par hasard, mais surtout parce que le minibar de sa limousine est vide, voici qu’il entre dans un drag club où se produit ce soir-là Ally (Lady Gaga, qui a vraiment débuté ainsi).

S’ensuit une version de La vie en rose qui émerveille Jackson et lui fait momentaném­ent oublier son cynisme et son mal de vivre.

Travail minutieux

En idole sur le déclin, Cooper est aussi investi que crédible. La voix basse et graveleuse, il entonne une poignée de chansons ayant ceci de particulie­r qu’elles pourraient être de véritables « vieux succès ». Le souci du détail sur scène et en coulisse rend d’ailleurs compte d’un travail minutieux dont on ne prend la pleine mesure qu’après le film.

Quant à Lady Gaga, hormis sa contributi­on vocale formidable, elle se glisse dans la peau d’Ally avec un naturel désarmant, aux antipodes du jeu plus «méthode» de son partenaire. Loin de déranger, le contraste produit au contraire des étincelles (et génère une chimie palpable).

Méticuleus­e, donc, la production n’est toutefois pas sans défauts. Le montage, en particulie­r, pose problème dès lors que la courbe d’Ally est concernée: d’importants laps de temps dans sa conquête du succès ne bénéficien­t pas d’ellipses suffisamme­nt claires. Faut-il s’étonner que le parcours de Jackson ne souffre pas d’une telle confusion? Documentée avec un surcroît d’attention, la déchéance du personnage donne lieu à des longueurs où l’on devine l’acteur-réalisateu­r en train de se regarder jouer.

À ce propos, on sourit chaque fois que Cooper pavane torse nu, sa musculatur­e parfaite irréconcil­iable avec le style de vie de Jackson. À l’inverse, là encore, l’abandon que manifeste Gaga par rapport à son image n’en est que plus appréciabl­e.

Jeu de miroirs

Tout en intégrant les éléments les plus efficaces des versions antérieure­s, cette variation-ci n’est pas avare de considérat­ions inédites. L’un des aspects les plus intéressan­ts du film réside dans sa critique de l’industrie musicale que Cooper et Eric Roth (Forrest Gump, Munich et bientôt Dune de Denis Villeneuve), dans leur scénario, présentent comme un broyeur d’authentici­té. Ici, Jackson n’est pas jaloux du triomphe d’Ally, enjeu majeur dans les autres versions: il réprouve sa transforma­tion en «produit musical ». Or, autre nuance originale, Ally se prête au jeu en toute connaissan­ce de cause, plus maîtresse de son destin que ses prédecesse­ures.

Au commenceme­nt, Lady Gaga se montre avec une absence de fard qui la rend méconnaiss­able en Ally. Puis, la célébrité faisant son oeuvre, Ally adopte un look fabriqué qui évoque celui de la vraie Lady Gaga.

Le jeu de miroirs est fascinant.

Quelque chose à dire

De tels accents de vérité ne se trichent pas, à l’instar de l’intensité des regards qu’échangent Cooper et Gaga. Même impression de sincérité lorsque le premier confie à la seconde qu’il ne suffit pas de savoir chanter, mais d’avoir quelque chose à dire.

On sent que ces mots formulés par son personnage ont guidé la démarche de Bradley Cooper, qui, audelà de vouloir prouver qu’il savait bien réaliser, s’est au préalable assuré qu’il avait lui aussi quelque chose à dire.

Il en résulte une histoire mille fois racontée, certes, mais jamais de cette manière-là.

Une étoile est née

(V.F. de A Star Is Born)

★★★ 1/2

Drame musical de Bradley Cooper. Avec Bradley Cooper, Lady Gaga, Sam Elliott, Dave Chappelle, Andrew Dice Clay. États-Unis, 2018, 135 minutes.

 ?? WARNER BROS. PICTURES ?? Lady Gaga, hormis sa contributi­on vocale formidable, se glisse dans la peau d’Ally avec un naturel désarmant, aux antipodes du jeu plus « méthode » de son partenaire, l’acteur et ici réalisateu­r aussi, Bradley Cooper. En idole sur le déclin, il est aussi investi que crédible.
WARNER BROS. PICTURES Lady Gaga, hormis sa contributi­on vocale formidable, se glisse dans la peau d’Ally avec un naturel désarmant, aux antipodes du jeu plus « méthode » de son partenaire, l’acteur et ici réalisateu­r aussi, Bradley Cooper. En idole sur le déclin, il est aussi investi que crédible.

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