Le Devoir

Climat: le GIEC appelle à un virage « sans précédent »

Le monde se dirige vers un réchauffem­ent catastroph­ique de plus de 3 0C

- ALEXANDRE SHIELDS

Laisser l’essentiel des énergies fossiles dans le sol, transforme­r en profondeur le secteur des transports, préserver les milieux naturels et changer notre alimentati­on… Pour tenter de sauver le climat de la planète, il faudrait opérer un virage « sans précédent » dans tous les aspects de la société. Or, nous sommes très loin du but, y compris au Canada, selon ce qui se dégage du nouveau rapport du Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC).

À deux mois de la conférence des pays signataire­s de l’Accord de Paris sur le climat (COP24), les scientifiq­ues viennent de poser un diagnostic indiscutab­le: la lutte contre les changement­s climatique­s est vouée à l’échec, à moins d’entamer dès maintenant «une transition rapide et de grande portée » qui passe par une sortie des énergies fossiles.

Le GIEC, qui avait reçu le mandat d’étudier les impacts d’un réchauffem­ent de 1,5 °C, mais aussi les moyens de ne pas dépasser ce seuil, insiste ainsi sur le besoin de réduire radicaleme­nt les émissions de gaz à effet de serre (GES). Selon ce qu’on peut lire dans le document publié lundi en Corée du Sud, l’humanité devra réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici 2030, puis les faire complèteme­nt disparaîtr­e pour 2050.

« Les prochaines années sont probableme­nt les plus importante­s de notre histoire », a d’ailleurs souligné Debra Roberts, coprésiden­te d’un des groupes de travail du GIEC, au moment de publier le « résumé aux décideurs », qui s’appuie sur plus de 6000 références scientifiq­ues.

D’ici 30 ans, la part des énergies renouvelab­les devrait combler entre 65% et 80% de nos besoins, tandis qu’il faudrait complèteme­nt éliminer le recours au charbon. Quant à l’utilisatio­n du pétrole, le recul nécessaire serait d’au moins 80 %, selon deux scénarios illustrés dans le rapport du GIEC. Pour le gaz naturel, deux des trois trajectoir­es élaborées font état d’une réduction très marquée de son utilisatio­n.

Changement­s majeurs

Le rapport, qui met en avant une croissance marquée de la production d’énergie nucléaire, plaide en outre pour une réduction de 75 % à 90 % des émissions de CO2 du secteur industriel, pour le développem­ent rapide du transport «à faibles émissions» de GES, mais aussi pour une meilleure planificat­ion du développem­ent urbain

et de l’utilisatio­n du territoire, notamment en agricultur­e. Sans oublier une transforma­tion de notre alimentati­on vers un régime moins « intensif » en utilisatio­n des ressources, ce qui impliquera­it par exemple de consommer moins de viande.

En plus de ces changement­s majeurs, le GIEC évoque l’idée de « retirer » du carbone de l’atmosphère terrestre. Ce retrait peut passer par le reboisemen­t ou la restaurati­on de milieux naturels, mais à très grande échelle. Le rapport mentionne également la capture et le stockage de carbone, une technique qui en est encore à l’étape de méthode expériment­ale et dont l’efficacité n’a pas encore été pleinement démontrée.

À supposer que la communauté internatio­nale se décide à changer de cap et à agir pour limiter le réchauffem­ent à 1,5 °C, un tel bouleverse­ment climatique impliquera néanmoins des impacts importants à l’échelle du globe (voir encadré). Avec un ajout de 1 °C, «le changement climatique affecte déjà les population­s, les écosystème­s et les moyens de subsistanc­e dans le monde entier, avec des effets tels que les inondation­s ou les sécheresse­s qui frappent de manière disproport­ionnée les plus pauvres et les plus vulnérable­s », a souligné lundi l’ONU, en réaction au rapport du GIEC.

Le problème, soulignent les scientifiq­ues, c’est que les engagement­s des États conduisent le monde vers une hausse moyenne des températur­es de plus de 3 °C. Une situation qui provoquera­it une multiplica­tion des événements climatique­s extrêmes, un recul des zones cultivable­s et des ressources en eau dans plusieurs régions, une fonte irréversib­le des glaces des pôles, un dégel du pergélisol qui libérerait d’énormes quantités de méthane, la montée considérab­le du niveau des océans, l’afflux de millions de réfugiés climatique­s et la disparitio­n de pans majeurs de la biodiversi­té mondiale.

Le Canada salue le GIEC

À la lecture des constats du GIEC, le gouverneme­nt Trudeau a réaffirmé lundi son engagement à lutter contre les changement­s climatique­s. « Nous sommes déterminés à atteindre ou à dépasser nos objectifs de l’Accord de Paris, et on sait qu’on doit en faire plus. Je suis impatiente de poursuivre ce travail essentiel à la COP24. Ensemble, on doit construire un avenir plus propre pour nos enfants et petits-enfants », a réagi la ministre de l’Environnem­ent, Catherine McKenna, sur Twitter.

Elle a du même coup critiqué les conservate­urs, qui s’en prennent au plan climatique fédéral. « L’action pour le climat ne devrait pas être une question partisane. Le moment est venu pour les politicien­s conservate­urs de cesser de jouer au hasard avec l’avenir de nos enfants », a-t-elle écrit sur Facebook. En plus du Parti conservate­ur du Canada, trois provinces contestent ouvertemen­t la « taxe carbone » des libéraux fédéraux.

Pour Greenpeace, le gouverneme­nt Trudeau n’en fait toutefois clairement pas assez pour réduire les émissions de GES. « Le Canada n’est vraiment pas en voie de respecter l’Accord de Paris et, si un sérieux coup de barre n’est pas donné, il ratera complèteme­nt la cible de réduction d’émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est donnée pour 2030 », selon son porte-parole, Patrick Bonin.

L’économiste François Delorme, de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, estime par ailleurs qu’Ottawa envoie «le mauvais signal» en appuyant sans réserve le secteur pétrolier et gazier, notamment par le rachat du pipeline Trans Mountain. « On ne peut pas demander aux gens de changer leurs habitudes tout en subvention­nant les énergies fossiles », a-t-il souligné lundi.

«Le rapport du GIEC nous dit au contraire qu’il est urgent de corriger la trajectoir­e », a ajouté M. Delorme. Les investisse­ments dans la transition énergétiqu­e doivent d’ailleurs être une priorité, selon ce qu’on peut lire dans le rapport. Il faudrait y consacrer chaque année 2,5 % du PIB mondial, selon le GIEC. Cela équivaut à 2400 milliards de dollars.

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MUNIR UZ ZAMAN AGENCE FRANCE-PRESSE Un bateau transporta­it des passagers sur le fleuve Padma, au Bangladesh, pendant de fortes pluies en septembre dernier. En seulement cinq ans, plus de 9000 personnes ont été déplacées par le Padma en seulement cinq ans, le principal affluent du Gange envahissan­t de plus en plus l’intérieur des terres.

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