Climat: le GIEC appelle à un virage « sans précédent »
Le monde se dirige vers un réchauffement catastrophique de plus de 3 0C
Laisser l’essentiel des énergies fossiles dans le sol, transformer en profondeur le secteur des transports, préserver les milieux naturels et changer notre alimentation… Pour tenter de sauver le climat de la planète, il faudrait opérer un virage « sans précédent » dans tous les aspects de la société. Or, nous sommes très loin du but, y compris au Canada, selon ce qui se dégage du nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
À deux mois de la conférence des pays signataires de l’Accord de Paris sur le climat (COP24), les scientifiques viennent de poser un diagnostic indiscutable: la lutte contre les changements climatiques est vouée à l’échec, à moins d’entamer dès maintenant «une transition rapide et de grande portée » qui passe par une sortie des énergies fossiles.
Le GIEC, qui avait reçu le mandat d’étudier les impacts d’un réchauffement de 1,5 °C, mais aussi les moyens de ne pas dépasser ce seuil, insiste ainsi sur le besoin de réduire radicalement les émissions de gaz à effet de serre (GES). Selon ce qu’on peut lire dans le document publié lundi en Corée du Sud, l’humanité devra réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici 2030, puis les faire complètement disparaître pour 2050.
« Les prochaines années sont probablement les plus importantes de notre histoire », a d’ailleurs souligné Debra Roberts, coprésidente d’un des groupes de travail du GIEC, au moment de publier le « résumé aux décideurs », qui s’appuie sur plus de 6000 références scientifiques.
D’ici 30 ans, la part des énergies renouvelables devrait combler entre 65% et 80% de nos besoins, tandis qu’il faudrait complètement éliminer le recours au charbon. Quant à l’utilisation du pétrole, le recul nécessaire serait d’au moins 80 %, selon deux scénarios illustrés dans le rapport du GIEC. Pour le gaz naturel, deux des trois trajectoires élaborées font état d’une réduction très marquée de son utilisation.
Changements majeurs
Le rapport, qui met en avant une croissance marquée de la production d’énergie nucléaire, plaide en outre pour une réduction de 75 % à 90 % des émissions de CO2 du secteur industriel, pour le développement rapide du transport «à faibles émissions» de GES, mais aussi pour une meilleure planification du développement urbain
et de l’utilisation du territoire, notamment en agriculture. Sans oublier une transformation de notre alimentation vers un régime moins « intensif » en utilisation des ressources, ce qui impliquerait par exemple de consommer moins de viande.
En plus de ces changements majeurs, le GIEC évoque l’idée de « retirer » du carbone de l’atmosphère terrestre. Ce retrait peut passer par le reboisement ou la restauration de milieux naturels, mais à très grande échelle. Le rapport mentionne également la capture et le stockage de carbone, une technique qui en est encore à l’étape de méthode expérimentale et dont l’efficacité n’a pas encore été pleinement démontrée.
À supposer que la communauté internationale se décide à changer de cap et à agir pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, un tel bouleversement climatique impliquera néanmoins des impacts importants à l’échelle du globe (voir encadré). Avec un ajout de 1 °C, «le changement climatique affecte déjà les populations, les écosystèmes et les moyens de subsistance dans le monde entier, avec des effets tels que les inondations ou les sécheresses qui frappent de manière disproportionnée les plus pauvres et les plus vulnérables », a souligné lundi l’ONU, en réaction au rapport du GIEC.
Le problème, soulignent les scientifiques, c’est que les engagements des États conduisent le monde vers une hausse moyenne des températures de plus de 3 °C. Une situation qui provoquerait une multiplication des événements climatiques extrêmes, un recul des zones cultivables et des ressources en eau dans plusieurs régions, une fonte irréversible des glaces des pôles, un dégel du pergélisol qui libérerait d’énormes quantités de méthane, la montée considérable du niveau des océans, l’afflux de millions de réfugiés climatiques et la disparition de pans majeurs de la biodiversité mondiale.
Le Canada salue le GIEC
À la lecture des constats du GIEC, le gouvernement Trudeau a réaffirmé lundi son engagement à lutter contre les changements climatiques. « Nous sommes déterminés à atteindre ou à dépasser nos objectifs de l’Accord de Paris, et on sait qu’on doit en faire plus. Je suis impatiente de poursuivre ce travail essentiel à la COP24. Ensemble, on doit construire un avenir plus propre pour nos enfants et petits-enfants », a réagi la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, sur Twitter.
Elle a du même coup critiqué les conservateurs, qui s’en prennent au plan climatique fédéral. « L’action pour le climat ne devrait pas être une question partisane. Le moment est venu pour les politiciens conservateurs de cesser de jouer au hasard avec l’avenir de nos enfants », a-t-elle écrit sur Facebook. En plus du Parti conservateur du Canada, trois provinces contestent ouvertement la « taxe carbone » des libéraux fédéraux.
Pour Greenpeace, le gouvernement Trudeau n’en fait toutefois clairement pas assez pour réduire les émissions de GES. « Le Canada n’est vraiment pas en voie de respecter l’Accord de Paris et, si un sérieux coup de barre n’est pas donné, il ratera complètement la cible de réduction d’émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est donnée pour 2030 », selon son porte-parole, Patrick Bonin.
L’économiste François Delorme, de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, estime par ailleurs qu’Ottawa envoie «le mauvais signal» en appuyant sans réserve le secteur pétrolier et gazier, notamment par le rachat du pipeline Trans Mountain. « On ne peut pas demander aux gens de changer leurs habitudes tout en subventionnant les énergies fossiles », a-t-il souligné lundi.
«Le rapport du GIEC nous dit au contraire qu’il est urgent de corriger la trajectoire », a ajouté M. Delorme. Les investissements dans la transition énergétique doivent d’ailleurs être une priorité, selon ce qu’on peut lire dans le rapport. Il faudrait y consacrer chaque année 2,5 % du PIB mondial, selon le GIEC. Cela équivaut à 2400 milliards de dollars.