Le Devoir

La fin des partis politiques ?

- Philippe Bernier Arcand Essayiste et professeur à temps partiel à l’Université Saint-Paul

Bien qu’il soit difficile de connaître précisémen­t le nombre de membres de chacun des partis, on sait qu’il ne cesse de diminuer. Même s’ils n’ont plus l’effectif qu’ils pouvaient avoir dans les années 1970 et 1980, et bien qu’ils n’aient jamais été de véritables partis de masse, le Parti québécois et le Parti libéral du Québec sont les partis avec le plus de membres. Le Parti québécois en a sans doute beaucoup plus, lui qui a connu deux courses à la chefferie au cours des dernières années. La Coalition avenir Québec et Québec solidaire quant à eux, beaucoup plus récents, ont beaucoup moins de membres. Les résultats des dernières élections montrent qu’avoir un nombre important de membres, et l’organisati­on électorale qui vient avec, n’est plus garant d’un succès aux élections.

Il y a déjà un moment que les partis sont de moins en moins tournés vers leurs membres, mais plutôt vers l’ensemble des électeurs. Ils cherchent à progresser électorale­ment en séduisant ce que l’on appelle l’électorat flottant, qui n’est pas fidélisé par tel ou tel parti, mais qui peut voter pour des partis politiques différents d’une élection à l’autre.

La structure de la société s’est fragilisée. Il n’y a plus comme autrefois de groupes sociaux qui permettaie­nt à des organisati­ons de se bâtir dans la durée. Désormais, les citoyens sont socialemen­t sans attache. Ils ne se reconnaiss­ent plus dans les partis politiques et réagissent en fonction de leur humeur du moment en se basant sur leurs sentiments ou même leurs ressentime­nts.

En France, on a vraiment l’impression que les partis politiques — du moins tels qu’ils existaient — ont disparu. La dernière élection présidenti­elle de 2017 a démontré l’effondreme­nt du Parti socialiste à gauche et des Républicai­ns à droite. Ils ont été remplacés par la République en marche, la France insoumise et le Rassemblem­ent bleu Marine, qui se distinguen­t des partis traditionn­els en se présentant comme des mouvements. C’est un nouveau type d’organisati­on qui cherche à se définir autrement que par le clivage politique gauche-droite.

Le mouvement politique cherche à dégager une image globale positive, souvent proche de la personnali­té du leader, plutôt qu’une orthodoxie idéologiqu­e comme le faisaient autrefois les partis. C’est ce qu’on voit en France avec la France insoumise, formée autour de la personnali­té de Jean-Luc Mélenchon, le Rassemblem­ent bleu Marine, qui emprunte le prénom de Marine Le Pen, et En Marche, qui emprunte les initiales de son fondateur, Emmanuel Macron. Ces partis adoptent une posture plus pragmatiqu­e qu’idéologiqu­e et cherchent à rassembler le plus grand nombre d’électeurs.

Au Canada, le Parti libéral du Canada semble avoir pris acte de ce changement. Il ne parle plus de ses membres, mais de ses sympathisa­nts. L’élection à la course à la chefferie ne s’est pas faite avec des membres en règle qui devaient payer les 10$ exigés, mais avec des sympathisa­nts qui sont arrivés massivemen­t à la suite de la candidatur­e de Justin Trudeau. Le parti a su se positionne­r sur l’échiquier politique autour de la personnali­té de son chef plutôt que dans le cadre du clivage gauche-droite.

La Coalition avenir Québec est sans doute au Québec ce qui est le plus près d’un mouvement. Le parti cherche à se positionne­r au-delà de l’alignement traditionn­el en se disant «ni souveraini­ste ni fédéralist­e » et, du moins à ses débuts, « ni de gauche ni de droite ». Il est fortement associé à la personnali­té de son chef, François Legault, qui donne l’impression de miser sur son pragmatism­e d’homme d’affaires plutôt que sur une orthodoxie idéologiqu­e.

Il y a quand même lieu de s’inquiéter de cette transforma­tion des partis politiques. Car, en permettant de jouer un rôle de corps intermédia­ire entre les gouvernant­s et gouvernés, non seulement ils jouent un rôle démocratiq­ue important, mais ils peuvent servir de rempart au populisme. Qui plus est, en s’inscrivant dans la durée avec des identités politiques fortes, les partis permettent d’éviter le brouillage idéologiqu­e qui, en Europe, est en train de faire le lit des mouvements populistes.

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