Le Devoir

Lutter contre les trolls

- PIERRE TRUDEL

Le documentai­re Troller les trolls, d’Hugo Latulippe et Pénélope McQuade, nous emmène dans l’univers de ceux qui répandent leurs propos blessants ou gratuits sur les plateforme­s Internet. On nous présente certains de ceux et celles qui usent des immenses possibilit­és du Web pour crier leur indignatio­n ou leur mécontente­ment, mais aussi pour invectiver et blesser. Tout au long du parcours, on constate que le respect de la dignité des personnes n’est pas un réflexe inné.

Dans l’espace connecté, chacun peut disposer, sans trop de risques, d’une audience comparable à celle des médias traditionn­els. C’est une avancée démocratiq­ue majeure. Mais les lieux virtuels de discussion sont souvent pollués de commentair­es hors sujet ou d’insultes fondées sur l’apparence et l’identité des gens plutôt que sur leurs idées. Pour lutter contre cette pollution, il faut rendre plus risquées les activités des trolls. Il faut se tourner vers les normes qui balisent la faculté de dire et de crier.

Régulation­s par défaut

Les propos mesquins, misogynes, racistes, homophobes n’ont pas été inventés avec Internet. Mais le réseau est entièremen­t construit par la technique. Or, il se trouve que la technique réglemente : les choses se passent ainsi en raison de ce que permettent ou interdisen­t les configurat­ions par défaut des sites ou des applicatio­ns. La façon dont sont configurée­s les plateforme­s facilite pour tout un chacun la diffusion de ce qui lui vient à l’esprit. Cette réglementa­tion par défaut procure à tous de grandes facultés de s’exprimer. Mais cela est accompagné de pollution.

Tout comme dans d’autres espaces constitués par la technologi­e, il faut gérer les risques engendrés par ce que la technologi­e permet. Cela procure des pistes d’actions afin de réduire la place prise par les trolls sur Internet. Par la facilité qu’elles procurent aux trolls, les configurat­ions par défaut d’Internet engendrent des risques pour les autres. Alors, comment limiter les risques ainsi imposés aux personnes victimes des messages venimeux ?

Il y a bien sûr les réponses individuel­les : se retirer du réseau. Cesser de prendre la parole puisque cela nous expose à subir le fiel de ceux qui ne supportent pas nos propos ou qui ne supportent pas qu’une personne soit ce qu’elle est. Mais alors, on ne gère pas les risques. On tente de fuir un environnem­ent que l’on trouve trop risqué. Habituelle­ment, lorsque le niveau de risque d’une activité devient élevé, on s’attend à ce que les États intervienn­ent. Dans le passé, on a vu les États mettre en place des règles afin de réduire les risques de cet autre environnem­ent devenu dangereux notamment en raison de ce que la technologi­e rend possible : les routes et la circulatio­n automobile. Les véhicules nous permettent d’aller partout et de rouler à folle vitesse. Mais on impose des limites à cette faculté d’exposer les autres à des risques démesurés.

La plupart des activités sur Internet ont des dimensions expressive­s. L’État qui intervient pour baliser la circulatio­n de l’informatio­n sur Internet n’a pas le loisir d’agir n’importe comment. Mais baliser les risques associés aux activités expressive­s n’est pas hors de la portée des États. Tous le font à divers degrés depuis longtemps.

Sur Internet, les régulation­s étatiques doivent être conçues de manière à accroître les risques de ceux qui ont des activités polluantes sur le réseau. Mais il faut aussi éviter d’inhiber la prise de parole légitime. Parmi les approches prometteus­es, il y a celles qui misent sur la synergie entre les régulation­s des États et les mesures mises en place par les grands acteurs du réseau, comme les réseaux sociaux et autres grandes plateforme­s.

Un exemple de régulation­s susceptibl­es d’accroître les risques des trolls est de mieux rendre visibles les conséquenc­es de propos d’ores et déjà prohibés par les lois. Les propos exprimant des menaces à l’égard d’une personne, ceux qui engagent les autres à haïr les membres d’un groupe, les injures gratuites et la diffamatio­n sont punissable­s en vertu des lois. Cela devrait être plus évident pour tous.

Politique numérique

Tout comme dans d’autres espaces constitués par la technologi­e, il faut gérer les risques engendrés par ce que la technologi­e permet

Il faut aller plus loin et adapter les mécanismes d’applicatio­n des lois à la vélocité du réseau. Dans certains pays, on a mis en place des dispositif­s facilitant le signalemen­t des messages haineux. En complétant ces outils de mécanismes afin d’accélérer l’identifica­tion des pollueurs de même que les processus judiciaire­s pour sanctionne­r les comporteme­nts illégaux, on accroît les risques des trolls.

Il faut aussi imaginer des régulation­s innovatric­es afin d’encourager la prise de parole tout en rendant le propos illégal plus risqué. C’est de cela qu’on doit parler lorsqu’il est question de politiques numériques. Un ensemble de mesures augmentant les risques de ceux qui ne savent pas vivre en société numérique tout en favorisant les occasions pour tous de participer aux débats.

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