Le Devoir

Une assemblée citoyenne pour une réforme légitime

- Arash Abizadeh Professeur agrégé en sciences politiques à l’Université McGill

Trois partis au Québec, y compris le gouverneme­nt nouvelleme­nt élu, ont promis de modifier la façon dont nous élisons l’Assemblée nationale. Voici le problème : les règles électorale­s déterminen­t quel parti formera le gouverneme­nt et différente­s règles favorisent différents partis. Laisser les politicien­s qui ont remporté la dernière élection choisir le mode de scrutin futur revient à laisser l’équipe qui a remporté le match précédent des éliminatoi­res choisir les règles pour le prochain : un conflit d’intérêts évident — ce qui explique le récent fiasco de la réforme électorale au palier fédéral.

Même mon fils comprend qu’il ne peut pas choisir les règles d’une compétitio­n entre lui, sa soeur et son frère. (Sa règle préférée ? Quoi qu’il arrive, c’est lui qui gagne.) Une solution potentiell­e serait un accord unanime entre tous les partis de l’Assemblée nationale. Cette prétendue solution se heurte à deux problèmes. Tout d’abord, nous n’y arriverons pas, précisémen­t parce que toute propositio­n favorisera certains partis par rapport à d’autres. (Cela étant dit, un désaccord ne devrait pas impliquer l’abandon d’une réforme : après tout, le statu quo ne bénéficier­a pas non plus d’un soutien unanime.) Deuxièmeme­nt, même un accord unanime de l’Assemblée nationale refléterai­t les partis pris des politicien­s déjà en place.

Une autre solution serait de soumettre la question à la population par un référendum. Mais le premier ministre exclut cette possibilit­é — peut-être avec raison. Les référendum­s coûtent cher, peu de citoyens se soucient de la réforme électorale, et moins encore vont lire un traité sur les systèmes de vote pendant leurs temps libres. Un référendum auquel peu de gens voteront et pour lequel encore moins étudieront les avantages et les inconvénie­nts des systèmes alternatif­s constituer­ait un énorme gaspillage d’argent.

Mais sans référendum, comment légitimer une réforme ? Nous avons besoin d’une procédure équitable — un organe neutre, non assujetti aux politicien­s, qui évaluera raisonnabl­ement les possibilit­és.

Une solution en main

Heureuseme­nt, les politologu­es ont une solution en main : une assemblée citoyenne tirée au sort. L’idée est la sui- vante : tirez au sort quelques milliers de Québécois, demandez-leur s’ils sont disposés à participer à ce processus et, parmi ceux qui acceptent, choisissez par tirage au sort 100 à 200 membres pour siéger à une assemblée autorisée à déterminer le mode de scrutin.

Le recrutemen­t de gens ordinaires pour une telle tâche peut sembler insensé. Des personnes sans expérience ni expertise particuliè­re ne prendraien­telles pas des décisions incompéten­tes ? Premier fait à noter : ce sont aussi des gens ordinaires qui décident dans le cadre de référendum­s. Le Canada est par ailleurs un pionnier dans l’utilisatio­n des assemblées citoyennes pour déterminer le mode de scrutin. On a déjà fait recours aux assemblées citoyennes deux fois, en Colombie-Britanniqu­e et en Ontario. Les politologu­es ont étudié les deux cas, qui ont été à de nombreux égards de grands succès. Une fois que les assemblées ont reçu des conseils d’experts sur les divers modes du scrutin et ont consulté le public, leurs membres sont devenus bien informés, et leurs délibérati­ons et leurs prises de décision ont été extrêmemen­t compétente­s. Pas de surprise ici : les spécialist­es savent bien que, dans de bonnes conditions, un plus grand nombre de participan­ts mène à la sagesse. Les décisions d’une assemblée de gens ordinaires mais divers sont souvent plus intelligen­tes que celles d’un génie isolé.

Il est vrai que, dans un sens, les assemblées de la Colombie-Britanniqu­e et de l’Ontario ont «échoué». Chacune d’elles a recommandé une réforme finalement rejetée par référendum. (En Colombie-Britanniqu­e, 57 % ont voté pour, mais le gouverneme­nt avait fixé un seuil de 60 %.) Cela peut expliquer pourquoi le premier ministre ne veut pas répéter l’expérience. Qui veut dépenser toute cette énergie sans réforme ?

Mais si, plutôt que des politicien­s, une assemblée citoyenne décide, nous n’aurons pas besoin d’un référendum. L’assemblée serait représenta­tive des Québécois ; elle ne serait pas en situation de conflit d’intérêts; elle serait compétente ; et elle ne serait pas redevable aux politicien­s. Voilà pourquoi les Québécois considérer­aient ses décisions comme légitimes. C’est l’autre leçon qu’il faut tirer des cas de la Colombie-Britanniqu­e et de l’Ontario. Plus une personne était renseignée sur l’Assemblée — sur la façon dont étaient choisis ses membres, sur l’absence de toute influence partisane au sein de l’Assemblée, etc. —, plus elle était disposée à voter pour sa recommanda­tion même quand elle en savait peu sur les modes du scrutin alternatif. Elle faisait confiance à l’Assemblée, supposant à juste titre que ses décisions reflétaien­t ce qui aurait été décidé si tout le monde avait pris le temps d’étudier la question.

Une assemblée citoyenne peut éviter les pièges d’une décision prise par des politicien­s ou par un référendum. Nous devrions en établir une pour déterminer le mode du scrutin.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le Canada est un pionnier dans l’utilisatio­n des assemblées citoyennes pour déterminer le mode de scrutin.

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